Hibou des marais et pouillot ibérique au Sénégal - deux articles "à caractère scientifique"
Ci-dessus :
à g., pouillot ibérique (Phylloscopus ibericus), Bango, Sénégal 2016 03 / @ Photo par Jérémy Calvo, avec F. B.
- à d., hibou des marais (Asio f. flammeus), La Nava, Espagne 2019 05 8 / @ Photo par Frédéric Bacuez, avec J. C.
Avant d'entamer une nouvelle session "sénégauloise"...
Deux articles "à caractère" scientifique ont eu la gentillesse (merci à Bram Piot et à Paul Isenmann !) de nous citer, mon complice Jérémy et moi-même, ainsi que les camarades Alix & Daniel de nos balades motorisées dans les brousses sahéliennes de Saint-Louis-du-Sénégal et dont j'avais rapporté à qui de droit leur observation d'un Asio flammeus mort mais intéressant la publication suivante :
- 'An influx of Short-eared Owls Asio flammeus in West Africa in winter 2017/18', par Bram Piot in The Bulletin of the African Bird Club 26(2):206-212 · September 2019
En 2017/2018, un certain nombre d'ornithos tropicalisés ont pu constater un exceptionnel afflux hivernal de hiboux des marais (Asio flammeus flammeus) descendus de l'Europe vers l'Afrique de l'ouest (voir carte ci-dessous), principalement au Sénégal où la pression d'observation est un peu moins faible qu'ailleurs dans la région. Entre le 3 novembre 2017 et le 4 avril 2018, des 22 observations faites de l'espèce (pour un total de 30 hiboux répartis sur 4 pays), 2 oiseaux ont été contactés en Mauritanie (dont un sujet par le regretté Robert Tovey), et 3 autres dans notre partie sahélienne du Sénégal : un dans le Djoudj (PNOD), un dans le Gandiolais par Bram Piot, un sujet trouvé mort dans le Ndiaël (RSAN) par mes amis Alix & Daniel Mignot, cf. carte et tableau des observateurs ci-après). Le principal score nous vient paradoxalement de la péninsule dakaroise et hyper-anthropisée du Cap Vert (avec pas moins de 10 sujets, dont neuf dénombrés sur le désormais fameux Technopole, avec sept hiboux d'un seul coup ! Un individu sur un ilot du lilliputien parc national des îles de la Madeleine (PNIM); plus un migrateur actif pointé depuis la non moins célèbre terrasse du Calao de N'Gor, encore et toujours par Bram). D'autres contacts plus évidents sur la Petite Côte, le Sine Saloum et la Gambie. Tandis que le reliquat, mais ceci est d'un vif intérêt, provient ô surprise de la Guinée Bissau, avec de belles découvertes effectuées par des camarades, en direct live par Gabriel Caucal (1 sujet) ou rapportée par Miguel Lecoq (1 sujet). Un grand cru !
Le hibou des marais (Asio f. flammeus, Short-eared Owl) est régulier au passage mais jamais commun le long du littoral du Maroc saharien et de la Mauritanie, réputé hivernant (jusqu'alors) dans la basse vallée du fleuve Sénégal (Mauritanie-Sénégal), dans le delta intérieur du fleuve Niger (Mali) et dans le bassin du lac Tchad (Niger-Nigeria-Cameroun-Tchad). Les effectifs y sont cependant très fluctuants, mieux fournis dans le Sahel lors des épisodes les plus froids dans son aire de distribution et de reproduction euro-méditerranéenne. Il a été récemment révélé que des sites d'hivernage peuvent aussi exister au sud des régions sahéliennes connues; on pense notamment au Technopole (Dakar), au Sine Saloum et à la Casamance sénégalais, à la Gambie et à la Guinée Bissau, zones dans lesquelles la migration active et le cantonnement de nos sympathiques brachyotes ont été documentés. Au vu du triste délabrement des trois sites sahéliens sus-cités (réchauffement climatique, aléas pluviométriques, pression démographique et désordre humain, surpâturage des bourgoutières, éradication des habitats au profit de la tyrannie rizicole et autre agrobusiness écocidaire ou de... rien, raréfaction alimentaire consécutive), serait-il envisageable, comme cela se dessine pour d'autres espèces demeurant dès lors, en hiver, au nord du Sahara ou à l'inverse descendant plus loin vers des latitudes plus vertes, que le hibou des marais ait décidé de parcourir quelques centaines de kilomètres supplémentaires pour trouver, provisoirement, un "écosystème" moins déstabilisant ? La question mériterait d'être explorée.
- Lire par ailleurs, "pour le grand public" :
Short-eared Owl in Senegal, par Bram Piot in Senegal Wildlife 2017 12 2
Hiver 2017-2018 au Sénégal: un afflux exceptionnel de hiboux des marais [additif 2018 03 19], par Frédéric Bacuez in Ornithondar 2018 03 20
- Du hibou des marais (Asio flammeus) et du hibou du Cap (Asio capensis, dont un exemplaire de la dernière espèce vient d'être contacté en migration active ce 8 octobre 2019 par Bram Piot au large de... Dakar-N'Gor, exactement sur le même site d'observation d'un hibou des marais également migrateur le 2 décembre 2017 !), voir ici :
Un hibou des marais sur 'la Langue de Barbarie', par Frédéric Bacuez in Ornithondar 2015 11 16
Ci-dessous, de haut en bas :
hibou des marais (Asio f. flammeus), vivant : La Nava, Espagne 2019 05 8 / @ Photo par Frédéric Bacuez, avec Jérémy Calvo
hibou des marais (Asio f. flammeus), vivant : Gandiolais, Sénégal 2017 12 25 / Courtesy @ photo par Bram Piot pour Senegal Wildlife
hibou des marais (Asio f. flammeus), mort : N2 Saint-Louis/Rosso à hauteur de la RSA du Ndiaël, Sénégal 218 01 22 / Courtesy @ photo par Daniel Mignot pour Ornithondar
- 'Nouvelles données sur les voies de migration et les quartiers d'hiver du pouillot ibérique Phylloscopus ibericus', par Paul Isenmann, Bram Piot et Stuart Sharp in Alauda 87 (3), 2019: 243-250
Je suis jaloux ! Si de mes mauvaises photos de pouillots ibériques hypothétiques (bien que probables selon Bram Piot, et si Bram le dit...) agrémentent le très détaillé billet de Senegal Wildlife*1, c'est bel et bien une tof de mon inséparable Jérémy Calvo (cf. en haut de notule) qui illustre l'article qui s'impose dans Alauda sur la question de ce petit passereau peu connu, à peine scruté car difficile à identifier in situ s'il ne chante pas. Photos toutes prises dans le nord-ouest du Sénégal, première zone où l'hivernage du taxon a été envisagé (avec Ségou, au Mali, dès 1932 !) et in fine certifié (1980's-2000's), en tant que sous-espèce puis espèce à part entière. Tâche peu aisée car physiquement la petite boule de plumes aux vagues teintes jaunâtres a été longtemps prise pour la forme nominale (celle de Scandinavie) d'un cousin à lui, le pouillot fitis (Phylloscopus t. trochilus), y compris par Morel (et bien évidemment par l'Ornithondar*3). A la vérité, le Fitis stationne dans le Sahel après (descente) et avant (remontée) le Sahara mais n'y resterait pas cantonné pour l'hiver, préférant les contrées boisées des biomes sud-soudanien et guinéen. En plus, l'Ibericus venu d'Espagne, du Portugal, du Maghreb et accessoirement du Pays basque français ne devrait pas gazouiller/chanter lors de son séjour africain. En théorie. Sauf pour Bram et Xeno Canto*2: sur le marais dakarois du Technopole (écouter ICI ou LA, un 31 décembre !); mieux, dans le Niokolo Koba (entendre LA), et même jusque sur les berges du Djoliba alias le fleuve Niger à Bamako (Mali, la preuve !). On ne jouera pas plus l'ingénu, sachant et l'ayant vérifié que d'autres espèces de pouillots comme le Véloce (Phylloscopus collybyta) chantent ou lancent des bribes de chant dès la fin décembre sur leurs quartiers d'hiver. Il n'y a pas de raison que les Ibères n'y fassent pas aussi un peu de flamenco.
C'est entendu, le pouillot ibérique (Phylloscopus ibericus, Iberian Chiffchaff) est d'abord une affaire d'oreilles... Car pour le reste, à part l'incertitude subjective du jizz (voir les critères d'identification sous le scalpel de Bram Piot), qui requiert patience, conditions d'observation optimales du sujet (on ne rit pas) et logiciel oculaire des plus performants, on ne peut jamais être assuré d'avoir coché le gros (petit) lot. Mêmes irritations avec d'autres taxons méditerranéens ou/et insulaires élevés ces dernières décennies au rang d'espèces, on pense au gobemouche de l'Atlas, au traquet du Groenland, à la fauvette de Moltoni; ou aux paléarctiques qui viennent s'ajouter en hiver à leurs semblables afrotropicaux, je pense à la rousserolle effarvatte/rousserolle africaine.
En tout cas, grace à Bram et à ses prédécesseurs qui ont investigué sur le pouillot ibérique (tout est dit dans le blogue de Senegal Wildlife), la carte de distribution hivernale du pouillot ibérique s'affine - ç'en est fini de la petite auréole bleue foncée circonscrite aux moyenne et basse vallée du fleuve Sénégal dans la seconde édition du référentiel Birds of Western Africa de Borrow & Demey (2014). Dès lors, l'aire en écharpe s'étire de la Grande Côte sénégalaise, à l'ouest, pour atteindre via le Mali les confins septentrionaux du Ghana et le plateau mossi (Burkina Faso), à l'est. On y voit déjà plus clair. Et nous voilà avertis : il ne suffit pas d'observer mais aussi (et surtout) d'écouter. Les pouillots, le plus souvent ignorés sur le terrain au profit d'espèces dites nobles ou spectaculaires, et surtout plus faciles, reprennent (enfin) du galon - Viva España ! Et la Teranga ?
*3 " A la mare de Ndiayène, l'eau tarit à vue d’œil. (...) Dans les arbres riverains épargnés par la prédation agricole, un stationnement de pouillots attire ma curiosité: je pense immédiatement à des pouillots fitis (Phylloscopus t. trochilus ou t. acredula, Northern/Willow Warbler), bien que le jaune du sourcil me semble un peu trop vif pour l'espèce. Bram Piot, qui a non seulement l'ouïe mais aussi le coup d’œil m'écrit, après avoir vu la photo illustrative ci-après: "cet oiseau me paraît trop sombre et trop rondouillard, avec un sourcil trop jaune pour du Fitis; un pouillot ibérique (Phylloscopus ibericus, Iberian Chiffchaff) sans doute !?" Et sur la base d'une autre photo communiquée: "les pattes assez claires et l'aile plutôt longue colleraient bien avec l'Ibérique, je crois, et expliquent pourquoi ce taxon ressemble parfois pas mal à un Fitis !" "
In (photo ci-dessous) :
Entre Walo et Dieri : dans la Moyenne vallée du Sénégal, par Frédéric Bacuez in Ornithondar 2018 02 14
*1 Lire :
Iberian Chiffchaff in West Africa, par Bram Piot in Senegal Wildlife 2019 03 9
*2 Ecouter:
Iberian Chiffchaff (Phylloscopus ibericus), in Xeno-Canto
Ci-dessous :
pouillot ibérique Phylloscopus ibericus envisagé
même si, pour ma part, je reste perplexe et continue d'y voir un Phylloscopus trochilus (trochilus ?) - Pffff...
Mare de Ndiayène, Moyenne vallée du fleuve Sénégal 2018 02 3, 13h49 / @ Photo par Frédéric Bacuez
Additif, 'session migration postnuptiale 2019' :
Au cours d'une (très laborieuse) marche récente dans la plaine de crue du fleuve Sénégal, c'était le 9 octobre dernier, les premiers passereaux du Paléarctique se faisaient encore rares et discrets. Ou ne s'arrêtaient pas là, pour différentes raisons dont la plus évidente, et la moins décourageante, était qu'en dehors des digues arborées tout le reste était sous l'eau... Dans les buissons d'acacias avec Salvadora persica et Tamarix senegalensis, quelques immanquables hypolaïs obscures (Iduna opaca), une fauvette grisette (Sylvia communis) et deux trois pouillots fugaces - dont celui-ci qui m'a tout l'air d'avoir le jizz, à défaut du son, muet, d'un joli pouillot ibérique (Phylloscopus ibericus, cf. photos ci-après).
"Peut-être bien un Ibérique en effet, ça a l'air de pas mal coller même sans voir la projection primaire (sur la base d'une seule photo, ndlr.); les pattes semblent trop sombres (et le plumage aussi) pour un Fitis. Par contre sans avoir entendu le cri ou le chant je pense que la prudence s'impose (...) "
- Bram à Frédéric 2019 10 11
- Et vous, chères lectrices chers lecteurs (s'il en reste), qu'en pensez-vous ?
Plus évident (pour moi) pouillot ibérique Phylloscopus ibericus
Plaine de crue du fleuve Sénégal 2019 10 6 matin / @ Photos par Frédéric Bacuez
- Cliquer sur les photos pour agrandir -
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