5, un varan des savanes: la gueule-tapée ou plus coriace-tu-meurs !

 Varan des savanes juvénile fraîchement tué - et chaudement bastonné ! 
Nobéré, Burkina Faso 1992 / © Photo par Frédéric Bacuez

* Aire communautaire des Trois-Marigots -

Daniel M. me signale avoir rencontré, ce soir dans la zone des Trois-Marigots, un beau spécimen de varan des savanes (varanus exanthematicus, savannah monitor): ce mâle, d'un bon mètre, visiblement âgé et sur le qui-vive, s'était réfugié dans un arbre (cf. photo ci-dessous). Dans la ceinture soudano-guinéenne, cette observation serait anecdotique: ce varan y apprécie tout particulièrement les zones agricoles peu densifiées et leurs fronts pionniers, où les friches et ce qu'on appelle les 'petites brousses' ne sont pas encore parties en fumée. Il peut y être abondant. En remontant vers le nord, l'aire de distribution du varan des savanes atteint les marges sahélo-sahariennes - donc le sud de la Mauritanie, où il évite cependant les terrains trop sablonneux, c'est dire combien nos marges ne sont pas son biotope préféré. Si les graminées hautes et touffues dans lesquelles il se réfugie, se tapit et s'enfouit pour nidifier se font rares, lui-même disparaît du paysage. A fortiori quand les herbes ont disparu, si les arbres dans lesquels il aime monter dormir se raréfient aussi, n'offrant plus le refuge, le camouflage et de solides branches pour s'y prélasser, à califourchon... Les grandes sécheresses de la fin du XXe siècle et la tonte permanente du tapis herbacé par les ruminants domestiques ont probablement eu un impact négatif sur les populations de varanus exanthematicus (mbëtt mi en langue wolof) au nord du 15e parallèle.

Gueule-tapée*2, symbole de la rage de vivre !

Placide mais vigoureux s'il est acculé, varanus exanthematicus est un animal coriace - c'est le moins qu'on puisse en dire... Sa technique de défense est surprenante, et trompe souvent l'agresseur: le reptile s'agite d'abord en tout sens comme convulsé, la queue fouettant nerveusement l'air, avant de devenir soudainement inerte, indifférent aux coups qui pleuvent sur sa cuirasse. Au moindre relâchement du bourreau, qui le croit enfin mort, le varan ne demandera pas de châtiment supplémentaire et détalera soudainement comme un lièvre (je l'ai constaté de mes propres yeux !)... Car il lui faut beaucoup de bastonnades pour que de guerre lasse le varan abandonne la vie, les os brisés par la furia humaine... Son principal prédateur le sait fort bien et s'acharnera volontiers sur la tête du reptile, d'où le surnom de 'gueule-tapée' donné au varan des savanes, partout en Afrique de l'ouest. L'animal est si réputé que des quartiers urbains, par exemple à Dakar, ont adopté ce diminutif pour rendre hommage à sa rage de vivre, à sa résistance aux coups et à la mauvaise destinée. 
A la différence du grand varanus niloticus (mbag mi en langue wolof), carnivore et charognard, le plus petit des varans (un mètre dix au grand maximum) est essentiellement insectivore, même s'il peut en passant prélever sa dîme dans le nid des oiseaux, surtout ceux qui couvent au sol. Car notre varan est un reptile éminemment terrestre: au contraire de son cousin, qui se jette à l'eau à la moindre alerte, notre marcheur cherchera le terrier le plus proche ou l'arbre le plus épineux pour sauver sa peau*1...

*1 Les petites tâches caractéristiques du cuir juvénile (cf. photos en haut et bas de notule) disparaissent progressivement à l'âge adulte chez le varan des savanes, qui devient alors grisâtre, hérissé de boursouflures (cf. photo ci-dessous)
*2 Voir aussi sur OrnithondarL’œil fait chance ! De l'Engoulevent à balanciers à l'Aigle de Bonelli et des Cigognes noires sur le départ - plus deux 'Gueules tapées' !, 2017 02 9


2014 07 5, varan des savanes mâle adulte dans la zone des Trois-Marigots
/ Courtesy © photo par Daniel Mignot pour Ornithondar

Nota: ... car à sa peau, les Hommes lui en veulent beaucoup ! Bien que considéré encore 'commun'*1, le varan des savanes pâtit fortement de la traque effrénée qui lui est faite, pour toutes sortes d'usages et de destinations: la casserole de la 'ménagère', évidemment, chez les agriculteurs de la savane; le mortier sous le pilon charlatanesque, partout sur le continent; le commerce du cuir, au Soudan et au Nigeria - deux pays au top de la destruction de tout ce qui voudrait survivre dans la nature; et, surtout, le business d'animaux vivants au profit de l'insatiable voracité possessive de l'Homo occidentalis (et orientalis !) qui ne cesse d'aimer ces animaux exotiques qui font peur (brrr... brrr...), en cage, en vitrine, en boîte ou dans la poche, histoire de mettre un peu de piment dans une existence vide de sens (et d'éthique). Au minimum 100 000 varans des savanes sont capturés chaque année et exportés en vrac*2 vers les pays riches de leurs classes moyennes et/ou nouvellement et obsessionnellement consuméristes. Perte sèche pour la nature d'autant que les femelles sont connues pour devenir 'improductives' en captivité.

*1 Voir IUCN redlist.org/Varanus exanthematicus; inscrit en Annexe II de la CITES (état insatisfaisant de conservation et/ou surexploitation pouvant menacer la survie de l'espèce)
*2 Bennett, 2001 et Bennett & Takoordyal, 2003


Abooki gujaaru damooru
l'ami du varan d'eau est le varan de terre "
- Proverbe peuhl dageeja (Bororo)

Ci-dessous: au seuil des années 90' à Nobéré, Burkina Faso: 
varan des savanes (à g.) et varan du Nil (à d.), 
morts et bientôt dans la marmite / © Photos par Frédéric Bacuez
- Cliquer sur les photographies pour les agrandir -

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