Hyaenidae: appel à témoins...

WANTED !
Hyène tachetée - Crocuta crocuta
The Zoological Natural History Museum, Addis Abeba, Ethiopie
2015 01 31 / © Photo par Frédéric Bacuez

Le déclin des grands mammifères d'Afrique est généralisé à l'ensemble des espèces et à toutes les régions du continent, au nord comme au sud, à l'ouest comme à l'est. Herbivores et carnivores. Peut-on même encore parler de déclin, terme qui pouvait être approprié jusque dans les années 70' du siècle passé avant qu'un premier collapse ne se fasse dans les années 80' et 90' ? Avec la seconde décennie de ce satanique XXIe siècle, ce n'est plus à un déclin mais à un effacement de la faune de régions entières y compris des sanctuaires réservés, et c'est bien ça qui est terrible, auquel nous assistons, au mieux impuissants au pire résolument indifférents. C'est que nous y avons mis les moyens: étalement de notre nombre métastatique, là-bas, tsunami démographique incontrôlé voire encouragé, ici. Avec notre génie idéologique partout, bête et méchant, pervers, hypocrite, obtus et surtout cupide, par la machinerie et l'inventivité mortifère, individuelle comme collective. Nous, seule espèce arrogante, incapable de vivre sans soumettre, piller et dévaster sa maison; y compris par et pour le plaisir. La nature et ses vies, voilà l'ennemi, finissons-en - et ça va aller !

La 6e extinction des espèces n'est pas une marotte de quelques illuminés négatifs et réactionnaires. Les grands fauves*2 et autres 'prédateurs' (dieux que je hais le qualificatif, pour ces animaux !) sont parmi les plus menacés de disparition. De disparition... ad vitam aeternam. A court terme. Y compris les quatre espèces de hyènes qui peuplaient abondamment l'Afrique hors la cuvette congolaise: hyène tachetée (Crocuta crocuta), hyène rayée (Hyaena hyaena), et hyène brune (Parahyaena brunnea) plus protèle (Proteles cristata) pour l'Afrique australe et orientale. Discrètes et opportunistes, les deux premières sont les plus répandues; elles ont néanmoins été pratiquement éradiquées de l'Afrique occidentale, ne subsistant en effectif 'optimiste', en ce qui concerne la hyène tachetée, que dans le vaste complexe des réserves cynégétiques et parcs nationaux à cheval sur les frontières du Burkina Faso, Bénin et Niger. C'est d'ailleurs dans le parc national de la Pendjari (Bénin) que j'ai eu à voir mes seules hyènes tachetées d'Afrique de l'Ouest. En moindre nombre, des hyènes se maintiennent dans le parc national du Niokolo Koba et sur quelques îles du Sine Saloum, au Sénégal. La hyène rayée, sahélo-saharienne mais aussi maghrébine, a probablement été anéantie dans la majorité de son aire sahélienne, ne survivant ici et là que dans les Atlas (singulièrement en Algérie) et dans quelques coins reculés des massifs sahariens.

Une nouvelle enquête pour une cartographie réactualisée et... rabougrie

Face à un tel effondrement, le Groupe spécialiste des Hyaenidae à l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN)* a lancé une vaste enquête, à l'échelle de tout le continent, afin d'établir une nouvelle cartographie distributive des quatre espèces de hyènes africaines. Les dernières données disponibles quant au nombre et à la répartition desdits carnivores dataient de 1998... Vingt ans après, les cartes d'alors sont déjà antédiluviennes. 20 ans, c'est à dire rien à l'échelle du temps. En matière de destruction, l'Homme est rapide, du genre expéditif. L'enquête consiste aussi à rassembler toutes les données disponibles sur le statut de nos hyènes, y compris les observations par des particuliers ayant croisé le chemin de la bête entre 2010 et 2018. Toute info, directe mais aussi indirecte si elle est vérifiée ou vérifiable est la bienvenue afin d'établir une cartographie la plus exhaustive possible, tâche ardue s'il en est. Déjà plus d'un millier de données ont été collectées, dressant une première carte très signifiante (cf. ci-dessous). Dans le nord-ouest africain: l'Algérie, pour la hyène rayée; et en Afrique occidentale subsaharienne: le complexe W-Arly-Pendjari-Oti (WAPO - Burkina Faso, Niger, Bénin, Togo) pour la hyène tachetée. Ailleurs dans cette région naturellement en déperdition, c'est le grand vide (à cet instant) - et cela vous étonne ? Il y a évidemment des endroits ici et là en Afrique de l'Ouest où subsisteraient bien quelques hyènes, mais on peut parler dès lors de survivantes, en sursis. On espère toujours, fidèle aux miracles, en attendant quelques heureuses surprises. Des ratels (Mellivora capensis) ont bien été retrouvés, ces deux dernières années, dans la basse vallée du Sénégal ! Trépassés écrabouillés, butés par la route (à suivre sur Ornithondar)... Il y a donc de l'espoir, non ?!

L'écologue Stéphanie Periquet résume pour Ornithondar l'ambition du projet:
" Le groupe de l'IUCN (..) est donc en train de compiler toutes les données d'observations des 4 espèces de hyènes faites entre 2010 et 2018. Ces données formeront la base pour la construction de nouvelles aires de distribution et seront le premier pas pour mettre à jour le statut ainsi que le futur plan de conservation des hyènes.
Les objectifs qui guident cette recherche sont les suivants:
1/ mettre à jour les aires de distribution des Hyaenidae au niveau global
2/ comparer ces nouvelles distributions à celles du plan d'action 1998
3/ regrouper toutes les données existantes sur les densités de hyènes
4/ identifier les menaces principales pour chaque espèce/région "

pour une enquête (em)menée par Torsten Bohm, Andrew Jacobson, Stephanie M Dloniak & Florian Weise, 2018-2019

Dans la basse vallée du fleuve Sénégal

En ce qui concerne notre vallée du fleuve Sénégal, les très rares communications dont dispose Ornithondar, toutes indirectes (lire ci-après), datent des années 2006-2009 et en disent long sur le statut des deux Hyaenidae théoriquement présentes par chez nous, pour le coup et concrètement au seuil de l'extinction locale
  • Plusieurs contacts avec Crocuta crocuta exclusivement dans le Ndiaël (réserve spéciale d'avifaune du Ndiaël, RSAN) signalés et rapportés par des éleveurs et résidents Peuhls de/dans ladite réserve, dans la première décennie du XXIe siècle, et notamment en 2009-2010. La hyène tachetée n'y avait plus été contactée depuis 1952. 
  • Selon les éleveurs du même Ndiaël, une (1) hyène tachetée (Crocuta crocuta) aurait attaqué un troupeau de bovins et mortellement blessé un veau, vers février 2009 (rapporté en février 2010)
  • Cheikh Aïdara, un ami de Bango sortant régulièrement sur le terrain avec moi au début de cette décennie, m'a confié avoir vu une (1) hyène tachetée morte suite à une collision au niveau du grand carrefour de Rosso-Richard Toll, au nord du Ndiaël. La scène daterait de 2006 ou 2007.
  • En rappel, une (1) hyène tachetée (Crocuta crocuta) avait été trouvée morte suite à un empoisonnement dans la réserve d'avifaune du Ndiaël (RSAN), c'était en 2003, le fait divers avait été rapporté par un media local.
  • Pour ma part, un terrier à grande gueule et bords arrondis que j'ai découvert dans le nord du Ndiaël pourrait bien être la tanière de hyènes - ou de ratels...
  • Encore moins utile à l'inventaire actuel mais à titre d'info' locale (à la rubrique des chiens écrasés ?): il y a quelques semaines le zoologue français François Baillon me racontait qu'à son époque il y avait encore des tanières et des hyènes tachetées à l'orient du lac de Guiers. C'était au tout début des années 90' du siècle passé; la Préhistoire...

Encore plus loin dans le temps, des années 70' Boulière, Morel et Galat* nous rapportent qu'à la différence d'aujourd'hui c'était la hyène rayée et non la hyène tachetée qui aurait été la moins rare (au XXe siècle) dans notre septentrion. La "seule hyène de la région sahélienne, tant au nord qu'au sud du fleuve" (rapporté par Poulet, 1972); un sujet aurait été observé dans le parc national des oiseaux du Djoudj (PNOD, par Ndao et Dupuy, 1973), où en revanche la hyène tachetée n'a jamais été contactée bien que sa présence deltaïque "aurait" été attestée jusque 1970 environ. Tout cela aurait été... et n'est plus.

* 'Les grands mammifères de la basse vallée du Sénégal et leurs saisons de reproduction', 
par F. Bourlière, G. Morel & G. Galat, in Mammalia, tome 40, n° 3 (1976)

Nota: à ma connaissance aucune donnée ou mention de la hyène rayée (Hyaena hyaena) dans la région du bas-delta sénégalais à l'occident du lac de Guiers depuis le début de ce siècle. Un sort probablement et définitivement scellé. Sale bête !

Ci-dessus:
Cartographie ouest-africaine et afro-asiatique 
des toutes premières données (2018) de hyène tachetée et hyène rayée 
collectées par le Groupe spécialiste des Hyaenidae à l'UICN / SSC
à g. Hyène tachetée - Crocuta crocuta
à d., Hyène rayée - Hyaena hyaena

Ci-dessus:
hyène tachetée - Crocuta crocuta, vers Palmarin (Petite Côte)
2016 11 24 / Courtesy © photo par Bram Piot (SenegalWildlife)

Ailleurs au Sénégal - et au-delà de l'Afrique occidentale

Au Sénégal, c'est dans le Sine Saloum qu'on aura le plus de chance d'observer la maraude de quelques hyènes tachetées (Crocuta crocuta, Spotted Hyaena); même de jour, c'est un bon signe. Statut autrement précaire pour celles qui errent un peu plus haut sur la Petite Côte, récemment signalées avec sensationnalisme par les torchons locaux du Net, vers Thialewne (Rufisque !) et vers Kaolack. Les plus connues (et quelque peu sous protection) demeurant celles qui fréquentent les vasières de Ndiafatte autour de la fameuse île aux crécerellettes et nauclers. Des rares mentions avec photographies après 2010, celles des camarades Simon Cavaillès, sur Kousmar (2010), et Bram Piot du coté de Palmarin (2016): par "deux fois", dont "une femelle avec deux petits !" [com. pers. 2019 01 15]. Dans l'oriental sénégalais aux confins sahélo-soudaniens, les derniers inventaires (par transects) de la réserve communautaire du Boundou (RNCB) emmenés par Gabriel Caucanas (CORENA) ont donné une seule observation indirecte en saison des pluies (empreinte à la mare de Wendou Féto - 2017 08), neuf (2018 04) et quinze contacts indirects (2017 04) au coeur de la saison chaude et sèche (empreintes, fèces); et surtout une observation nocturne de quatre (4) sujets à l'abreuvoir en période d'harmattan, sèche et 'fraîche' (barrage de Koussan - 2018 01). On se contente de très peu, et d'indices de (sur)vie, de nos jours. Quant au fameux Niokolo, cette vaste boucherie pourvoyeuse de bonnes viandes (toutes...) et d'occultisme (presque toutes ont leurs vertus...) pour nos "émergés" et autres "arrivés" new look de la bourgeoisie dakaroise...

Discussion vraie vraie du jour [2019 01 15]
avec quelqu'un qui connaît parfaitement la situation au coeur - et pour cause...:

" Moi: 
- Au cas où tu aurais des données que je n'ai pas
Correspondant(e):
- Ah. Les vivantes, je ne sais pas...
- En effet
- Les mortes, il y en a dans tout Dakar. A la pelle sur les tables de vente.
- Vrai ??? Dans Dakar ????
- Et dans tout le pays, d'ailleurs
- Sorcellerie ?
- Oui
- Comme au Faso et ailleurs...
- Oui malheureusement
- Pffffff... "


En Afrique orientale également, la bête se raréfie à grandes enjambées, victime des empoisonnements au même titre que tous les grands nettoyeurs comme les vulturidés; impitoyablement traquée, au Kenya, en Tanzanie comme en Ouganda (cf. ci-dessous), et en tout lieu du continent piégée, mutilée, torturée car accusée d'attaquer le bétail, cet allié de l'explosion démographique des Hommes. Braconnée partout (cf. dialogue ci-dessus) pour ses prétendues vertus aphrodisiaques ou je ne sais quel perlimpinpin de la grande médecine rebouteuse. La hyène est aussi impactée par les collisions nocturnes, y compris au Sénégal (cf. plus haut), c'est récurrent sur la mortelle balafre routière qui déchire le parc national du Niokolo Koba (PNKK). En Ethiopie son bastion, ses spectaculaires rires se faisaient toujours entendre en 2015, depuis les pentes d'Entoto jusque dans le cloaque urbain d'Addis Abeba, dans lequel elle n'hésite pas à descendre visiter les immondices; hélas, là comme ailleurs en Afrique on découvre régulièrement sa dépouille sur le bord des routes bondées d'engins tonitruants et... tue-la-mort...

En Ouganda, " la bête est devenue rare. 
Elle se fait piéger de partout. 
Même dans le Kidepo, je ne l'ai entendue qu'une seule fois et de très loin... 
Et dans le Pian Upe, une hyène bien esseulée se fait annoncer tous les soirs près du camp ! "
- Pascal à Frédéric Bacuez 2019 01 9 & 15

Dernier avatar d'une insoutenable rubrique mortuaire, cette malheureuse hyène rayée (Hyaen hyaena, Striped Hyaena) abattue dans les monts des Béni Snassen de l'oriental marocain, il y a quelques semaines. D'abord imputé à une vidéo algérienne, le crime aurait été commis lors d'une battue administrative dite de régulation des sangliers... Comme en France, les fines gâchettes chérifiennes gèrent, régulent, imposent leur diktat, bref elles ont la vue bien basse (et courte): ici le dégât collatéral aura été une hyène, là-bas c'est un cheval, une vache, un cycliste, un trailer... Gloire éternelle à l'Homme, le prédateur ultime !

" Ca fait vraiment mal au coeur, un animal si sympathique. 
[au contraire de ce que tend à faire croire le trophée ci-après d'une folle enragée, ndlr.]
Et puis ses complaintes nocturnes sont si bouleversantes. "
- Pascal à Frédéric Bacuez 2019 01 15


par Michel Louis in Manuel de gestion des aires protégées d'Afrique francophone, dir. Patrick Triplet (2009)
La hyène rayée, in Ecologie.ma [Maroc] 2012 09 12
AndIn defence of hyenas – they’re not just scavengers, in The Conversation 2019 02 22

Ci-dessous:
à g.,  hyène tachetée et hyène rayée, planche par P.-L. Dekeyser in L'Encyclopédie berbère (1984)
- à d., hyène rayée - Hyaena hyaena et hyène tachetée - Crocuta crocuta
The Zoological Natural History Museum, Addis Abeba, Ethiopie 2015 01 31 / © Photo par Frédéric Bacuez
En bas de notule:
hyènes tachetées - Crocuta crocuta, la nuit près de notre bivouac.
Vers Abidjatta-Shalla National Park, Ethiopie 2015 01 23-24 / © Piège-photo Frédéric Bacuez

Commentaires


  1. Dans le complexe WAP, Monts-Kouffé….......en République du Bénin

    RépondreSupprimer
  2. Pour le Nigeria j’ai observé il y a 15 ans ou plus un dresseur d’hyènes à Lagos. J’ai observé des hyènes dans les AP du WAP et des Monts-Kouffé en République du Bénin entre 1996 et 2001.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Galerie photos : le Traquet de Seebohm, du Maroc au Sénégal

Adieux : vole, maintenant, tonton Aïdara !