23, coche ! Un Engoulevent du désert ssp. saharae - un hivernant rare, sur un nouveau site, à une date jamais aussi précoce
Engoulevent du désert / du Sahara - Caprimulgus aegyptius ssp. saharae Brousses de Toddé/Khant-sud 2019 10 23, 15h31 / @ Photo par Frédéric Bacuez |
* Quelque part dans les brousses de Toddé, côté Khant-sud-
APREM', 15h20-16h05-
Météo : Avant une reprise des flux de mousson le lendemain, et quelques gouttes sur Saint-Louis; moins humide aujourd'hui, mais chaud au zénith, 34° à l'ombre - rare, l'ombre, rare...
Un alignement dunaire bas, parallèle au premier des Trois-Marigots, densément couvert d'un fourré d'Euphorbia basalmifera (Salane, en wolof), en cette saison tout en feuilles vertes mais aux prémices du jaunissement. Ici le tapis herbacé est plutôt chiche, les graminées plus éparses et courtes que sur des formations voisines. Le cordon domine un tann saumâtre actuellement bien en eau, bordé d'arbustes pour beaucoup moribonds, rongés par la salinisation des sols. Le marigot, étiré, est fréquenté aujourd'hui par une quinzaine d'Echasses blanches (Himantopus himantopus) et quelques chevaliers (Tringa nebularia et totanus). Entre le plan d'eau, qui s'assèche déjà à son extrémité nord, et la colline sablonneuse, une zone lessivée, sans végétation aucune, d'une blancheur à brûler les yeux. Sur le flanc sud-ouest du cordon, de légères ravines creusées par le ruissellement des pluies, parcimonieuses et très tardives cette année. Pour info, le lendemain le flux inter-tropical de la mousson sera remonté sur le bas-delta et il pleuvra même, un peu, les 24 et 25 octobre sur les confins sénégalo-mauritaniens. Quelques euphorbes maintiennent les sables entre chaque sillon façonné par les averses. Je sors du maquis pour dévaler le court talus vers le tann : du pied d'une jeune euphorbe, à moins de trois mètres de mon avancée, un oiseau beige clair aux ailes démesurées décolle soudainement et bruyamment - un ronronnement fort de type diésel et du genre 4x4 de Mount, quelqu'un comprendra... Immédiatement identifiable entre tous, c'est un Engoulevent du désert de la sous-espèce occidentale dite du Sahara, un Caprimulgus aegyptius ssp. saharae (Western Egyptian Nightjar). Mon premier. Une coche de plus pour ma liste sénégalaise.
Ci-dessus : Engoulevent du désert - Caprimulgus aegyptius ssp. saharae au pied d'une Euphorbia basalmifera Toddé 2019 10 23, 15h30 / @ Photo par Frédéric Bacuez |
L'engoulevent beige clair comme les sables alentour développe ses ailes invraisemblablement amples, longues, étroites. Disproportionnées. Il faut imaginer la bête : 24-26 cm de corps pour 58 cm d'envergure toutes voiles déployées. Dans la lumière aveuglante de 15h30, et du site, l'oiseau paraît presque blanc. En vol, il émet un son (de colère suite au dérangement ?) tel un bourdonnement (assez puissant) de machine motorisée. Je pense qu'il s'agit d'un mâle, robuste, plus large que la femelle. Comme tout bon engoulevent, celui-ci va se poser à quelques mètres, à l'intérieur du bosquet, au pied d'un buisson d'euphorbes plus épais. C'est à cet instant, fugace, que l'on devine tout juste de discrètes marbrures disséminées sur les rémiges et les rectrices de l'oiseau. Je tente une approche respectable et respectueuse, pour immortaliser la scène, et l'espèce, c'est préférable pour prouver qu'on n'a pas chopé une insolation. Difficile, l'engoulevent s'éjecte par deux fois des racines pour gagner l'arbrisseau suivant ; et puis il se met délibérément au soleil, sous l'astre brûlant et l'explosion lumineuse - clic clac. Je contourne un arbuste, tournant le dos quelques secondes à mon oiseau ; en réapparaissant de l'autre côté du plot végétal, plus d'oiseau, disparu... Je préfère laisser tomber la traque, j'ai chaud, assarfoulaye ! Et je déteste déranger plus que de raison. On reviendra ; pour vérifier si l'engoulevent, avec peut-être d'autres congénères, va hiverner in situ. On a le droit de rêver. De retour au premier arbuste, je me mets à genoux et inspecte la couche : une légère corbeille de sable dur comme une croûte, visiblement fréquentée depuis plusieurs jours, avec une quinzaine de crottes typiques en étrons torsadés comme de minuscules coquillages blancs, et même un duvet. Avec un terrain de chasse juste en face de l'abri, il suffit de s'élancer au crépuscule puis de... gober tout ce que l'environnement, avec l'étuve saisonnière, produit de bon : coléoptères, punaises, mites, phalènes, grillons, sauteriaux divers, fourmis ailées, termites et moustiques...
Nota 1 : l'Engoulevent du désert de la sous-espèce saharae est un habitant reproducteur des franges sahariennes au sud des Atlas (mi-mars à juin voire plus en bonne année pluvieuse), du Maroc, d'Algérie, de Tunisie et dans une très moindre mesure de l'extrême nord de la Mauritanie et du nord-ouest libyen. A travers le Sahara en effet, cet engoulevent migre vers l'Afrique sub-saharienne qu'il atteint théoriquement après la saison des pluies, pour un bref séjour hivernal censé débuter en décembre et s'achever vers février. Il fréquenterait alors la bande sahélienne, de la Mauritanie, du Mali (possiblement contacté jusqu'aux portes de Bamako !), et via le Gourma-Macina et le Liptako burkinabè vers l'est les confins malo-nigériens d'Ansongo-Ménaka.
Nota 2 : l'Engoulevent du désert est un (petit) Graal fort recherché par les amoureux du Sahara et de sa faune. Au Maroc, où il n'est pas rare sur les piémonts pré-désertiques de l'Anti-Atlas, du Bas-Draa, du Bani et du Sagrho, on s'offre le savoir-faire de guides ornithos pour espérer le rencontrer et admirer son étonnante beauté diaphane. Au Sénégal, n'espérez rien de ces services-là. Et pourtant, la présence hivernale de l'Engoulevent du désert saharae y a été constatée pour la première fois par les Morel et Roux dans les années 60' du siècle passé. Exclusivement de l'extrémité septentrionale du pays, précisément au seuil de la Moyenne vallée du fleuve Sénégal, près de Richard-Toll où un gîte diurne avec pas moins de cinquante (50) sujets avait été documenté de décembre 1964 à février 1965. Avant mon obs', des contacts "qui ne crèvent pas dans" d'obscurs "carnets de notes" (dixit Bram Piot ; il aurait pu ajouter "ou sur Face-de-bouc") voici, après mes recherches et avec le renfort de Bram les précédentes rencontres répertoriées ici et là, toutes singulièrement et exclusivement des environs du Grand Lac dans le parc national des oiseaux du Djoudj (PNOD). Pour les ultimes trouvailles, il s'agirait à ma connaissance des bourrelets sablonneux à Salvadora persica bordant le Gorom, dévalant vers la vaste steppe puis au-delà la cuvette à canards et flamants :
- En février 1991 par SP Rodwell et al. "à l'ouest du Grand Lac" (PNOD)
- Le 23 janvier 2008 (2 ind.) par Ron Demey & Nik Borrow (PNOD)
- En février 2010 par Idrissa Ndiaye, 'monsieur spatules' aujourd'hui agent au PNOD depuis près d'un quart de siècle !
- En janvier 2015 par John Rose et al., avec Idrissa Ndiaye (PNOD)
- En 2016/2017, l'écogarde Vieux N'Gom avait contacté un sujet toujours dans le même secteur du PNOD (com. pers. Bram Piot) où nous l'avions en vain traqué en novembre 2016, Bram, ses amis suisses du Groupe Ornithologique du Bassin Genevois (GOBG) et moi-même... On saura (et verra) deux ans plus tard que l'hivernant a changé de couvert djoudjien, chuuuuttt...
Mon observation de ce 23 octobre 2019 est donc un petit (non) événement, toute modestie bue, et dans le seul Landerneau ornitho local, c'est à dire pas grand monde : par la précocité de l'arrivée dans le Sahel de cet engoulevent (tout seul ? A vérifier dans les prochains jours...), plus d'un mois avant l'heure ; et par l'endroit où l'Ornithondar a levé l'Engoulevent du désert saharae. Une première dans le temps et pour le site, le plus méridional à cette heure au Sénégal. Par un étrange destin, ou peut-être parce que je connais cette brousse de Toddé (obstinément parcourue à pied, de long en large, quelque soit le cagnard) mieux qu'aucune autre dans la région, cette rencontre a eu lieu à mi-chemin entre l'observation (exceptionnelle dans le bas-delta sénégalais) d'une Outarde de Denham (Ardeotis d. denhami, voir ICI), à quelques centaines de mètres plus au sud sur la même zone et peu après la fin de la saison humide, en novembre (2014) ; et celle, en compagnie de mon ami François Marmeys, d'un Engoulevent à balanciers (Caprimulgus longipennis, voir ICI) en plumage nuptial donc avec ses pennes traînantes, en plein mois de février (2017), à quelque 1,5 kilomètres au nord de ce cordon sablonneux. Décidément Toddé, s'il fallait urgemment protéger un "patrimoine" naturel - et "communautaire" !- aux portes de Saint-Louis pour le sauver de l'incurie des uns ou/et de la gourmandise vorace des autres, c'est bien celui-ci ! Hélas... Le grand débat qui court la planète, sauver une Terre et son Vivant ne concerne pas l'Afrique, pas plus les Africains que leurs complices étrangers pour une meilleure prédation partagée (par et pour quelques uns). Alea jacta est.
Ci-dessous :
le site, le gîte diurne, les crottes et le duvet...
Engoulevent du désert - Caprimulgus aegyptius ssp. saharae
à l'ombre précaire d'une Euphorbia basalmifera
Toddé 2019 10 23, 15h27-15h39 / @ Photos par Frédéric Bacuez
Incroyable récit et superbe oiseau !!
RépondreSupprimerBravo bravo ornithondar !
Comme toi j'aime les engoulevents. Gloire aux FSO !
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