14, Toddé : une Outarde de Denham - l'un des grands oiseaux le plus rare d'Afrique de l'Ouest soudano-sahélienne
Une Outarde de Denham mâle au-dessus des cordons dunaires à euphorbes de Toddé 2013 11 14, 15h30 / @ Photo par Frédéric Bacuez |
* Zone de Toddé (aire communautaire des Trois-Marigots) -
APREM'-
Après avoir quitté l'ombre précaire de notre Prosopis - sous lequel l'équipe d'Ornithondar s'est réfugiée durant les deux heures les plus caniculaires de l'après-midi-, à quinze heures nous levons une Outarde de Denham (Neotis d. denhami, Denham's bustard). Celle-ci décolle lourdement de la dune à euphorbes (Euphorbia basalmifera) pour descendre d'abord vers le marais enchâssé entre les deux cordons puis, une fois de plus fuyant à distance, vers les terres asséchées prises entre les bras du marais qui s'étale plus bas. C'est un mâle, encore plus grand et lourd que la femelle, qui ouvre largement le bec dans sa fuite : au sol l'énorme oiseau se déplace pendant quelques instants, le cou bien dressé, avant d'être à nouveau dérangé, cette fois par l'envol de deux Grues couronnées (noires, Balearica pavonina ssp. pavonina, Western Black-crowned Crane) qui passent à basse altitude, tout près. L'outarde décolle à nouveau, en direction de la steppe qui suit l'ultime cordon de Toddé. Bref arrêt, car un homme marche dans la plaine et notre farouche volatile reprend les airs vers l'aval de l'étale aquatique, plus tranquille on l'espère de tout coeur pour elle.
Nota 1 : l'aire communautaire des Trois-Marigots est l'un des derniers sites du Sahel sénégalais où l'Outarde de Denham a été observée ces dernières années. L'espèce ne se reproduit vraisemblablement plus plus au Sénégal ; elle est partout au seuil de l'extinction à l'ouest du Niger. Cependant, des individus erratiques sont toujours notés dans la bande sahélo-soudanienne au moment de la remontée pluvieuse du Front inter-tropical (FIT) vers les marges sahariennes. Au Sénégal, l'Outarde de Denham a été rapportée du sud-est (du Niokolo Koba aux frontières guinéenne et malienne), des alentours du fleuve Gambie, ainsi que de la région du lac de Guiers (in Birds of Senegal and The Gambia, Nik Borrow et Ron Demey 2011). Mais c'est sur les cordons dunaires des Trois-Marigots, au couvert herbacé et arboré relativement épargné jusqu'en saison sèche (disons janvier au maximum...), avec de nombreux buissons d'euphorbes, que d'épisodiques observations de cette grande outarde pourraient s'y faire désormais, juste après la saison pluvieuse. Car c'est en fin de mousson qu'y apparaissent quelques oiseaux solitaires, notamment d'octobre à décembre lorsque la brousse et ses marais n'y sont pas encore à nu et asséchés. C'est encore aux Trois-Marigots, et sans doute sur les 'hauteurs' de Maka Diama, qui sait Biret en Mauritanie, qu'on aura le plus de chance de rencontrer d'autres espèces d'Otididés - comme l'Outarde de Savile (Lophotis savilei), la plus fréquente dans la région, et peut-être en saison des pluies l'Outarde à ventre noir (Lissotis melanogaster) ; voire une suicidaire Outarde arabe (Ardeotis arabs ssp. stieberi)* fuyant son carré du Djoudj toujours plus empiété par les Hommes - on a le droit de rêver.
* Lire sur Ornithondar : Une Outarde de Savile - et des outardes au Sénégal
* Lire sur Ornithondar : Une Outarde de Savile - et des outardes au Sénégal
Ci-dessus :
deux grands oiseaux devenus des plus rares en Afrique occidentale
Outarde de Denham (NT/Near Threatened sur la Liste Rouge de l'UICN) levée par deux Grues couronnées (VU/Vulnerable sur la Liste Rouge de l'UICN)
2013 11 14, 15h aux marais de Toddé / @ Photos par Frédéric Bacuez
Nota 2 : la bête était pourtant déjà raréfiée depuis les tueries du XXe siècle. Rien n'y fait, l'Outarde de Denham est toujours plus en déclin dans ce qu'il lui reste de son aire de distribution, du Sénégal (à l'ouest) à l'Ethiopie (à l'est) et à l'Afrique du Sud. Dans ce qui fut son bastion, le Kenya, on ne compte aujourd'hui que 300 oiseaux tandis que le Transvaal austral n'en accueillerait guère plus. Si le chaos centrafricain sans cesse renouvelé ne laisse rien présager de bon pour une population de ces outardes qui y était relativement abondante, de récentes investigations au Tchad redonnent quelques maigres espoirs pour la survie d'un splendide échassier des steppes herbeuses de l'Afrique 'éternelle'... En septembre 2011, Wacher et al. ont dénombré dans le Wadi Rimé-Wadi Achim pas moins de 400 oiseaux sur seulement 6% de cette immense et peu connue réserve cynégétique, laissant penser que 1500 à 2000 Outardes de Denham peuvent fréquenter le site en fin de saison des pluies, en provenance de Centrafrique et du Soudan (du Sud). C'est à l'ouest - de Niamey à Dakar- et au sud du Niger, le pire pays de la région pour les oiseaux j'ai nommé le Nigeria (avec le Mali), que la situation est catastrophique, pour l'Outarde de Denham comme pour la plupart des grands oiseaux afrotropicaux (échassiers, aigles, vautours). Au braconnage et à la chasse intense dont toutes les espèces d'outardes ont été et continuent d'être les victimes s'ajoutent désormais les conséquences visibles d'une démographie humaine totalement incontrôlée - et dont il ne faut jamais parler, c'est du racisme ! En dehors de trois ou quatre réserves qui-ne-sont-pas que-sur-papier et de deux à quatre parcs nationaux (presque) dignes de ce nom*, l'Afrique de l'Ouest est partout devenue une infinie campagne à l'agriculture archaïque dévoreuse de terres et, après vingt-ans de reprise pluviale, un parc à bétail pléthorique, bien peu rentable quoique destructeur du couvert végétal. Depuis 2004, l'Outarde de Denham est inscrite à la tristement fameuse Liste Rouge de l'UICN des espèces en voie de disparition, dans la catégorie 'Near Threatened/Bientôt Menacée'. Comme pour d'autres outardes sahéliennes (dont Ardeotis arabs) et sahariennes, comme pour les vautours (6 espèces en danger), le Bateleur des savanes, le Circaète de Beaudouin et les grands aigles, le Messager serpentaire et la Grue couronnée, Ornithondar ne donne pas cher de ces plumes en Afrique occidentale dans les années qui viennent.
* Pour la faune en général : PN de la Pendjari (Bénin) et réserves cynégétiques adjacentes (Burkina Faso) / PN du W (Niger) et RT de Termit (Niger) / Ranch de Nazinga (Burkina Faso) /
Pour les oiseaux : PN du Djoudj et du Diawling (Sénégal-Mauritanie) / PN du Banc d'Arguin (Mauritanie) /
* Pour la faune en général : PN de la Pendjari (Bénin) et réserves cynégétiques adjacentes (Burkina Faso) / PN du W (Niger) et RT de Termit (Niger) / Ranch de Nazinga (Burkina Faso) /
Pour les oiseaux : PN du Djoudj et du Diawling (Sénégal-Mauritanie) / PN du Banc d'Arguin (Mauritanie) /
Lire aussi : Sahara Conservation Fund (SCF) et BirdLife International
" Hunting is the primary cause of declines across the Sahel (Newby 1990) and throughout West Africa (Turner and Goriup 1989, Collar 1996, P. Hall in litt. 1999) "
- In The IUCN Red List of Threatened Species
Ci-dessous :
une Outarde de Denham (mâle) levée par Ornithondar dans la brousse de Toddé
et distribution africaine (en jaune, présence reproductive ; en vert, erratisme saisonnier uniquement)
2013 11 12, 15h / Carte @ UICN et @ photo par Frédéric Bacuez
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