3 & 5, traquets du Groenland, d'une traite d'un coup d'ailes !

2015 04 3 18h35 au nord du marigot de Khant: un traquet (motteux) du Groenland ? / © Photo par Frédéric Bacuez

* Marigot de Khant nord. A l'est des Grands Domaines du Sénégal (GDS) -
* Gandiolais, piste de Deegu Kakri-

Fin de journée-
Identification toujours délicate: différencier à l’œil, en quelques secondes, un traquet motteux (oenanthe oenanthe) de la race nominale oenanthe d'un traquet motteux de la race leucorhoa dite du Groenland... lequel nous vient en effet de la grande île danoise, mais aussi d'Islande et du Canada oriental. Ornithondar croit déceler, les 3 et 5 avril presque au soir dans les Trois-Marigots et le Gandiolais, la présence d'au moins deux à trois individus de ces confins arctiques. On ne peut être catégorique tant que nous n'avons pas le passereau en mains - et comme nous n'avons pas de fusil à disposition, hi hi hi... on se fiera à nos intuitions et aux quelques détails qui suivent:
  • Les oiseaux, et notamment celui que nous avons pu photographier près du marigot de Khant (cf. en haut de notule) ont un aspect plus élancé, plus grand, plus haut sur pattes, que celui du familier traquet motteux de l'Europe tempérée, généralement compact, la tête souvent rentrée dans les épaules. Chez nos sujets que l'on pense arctiques, la couleur du plumage est plus uniformément roussâtre que chez la race nominale, en particulier sur le ventre et les cotés, mettant en évidence le blanc du croupion (très visible, du coup).

Hélas, hélas les choses n'étant que rarement simples dans le monde de l'ornithologie de terrain, les traquets motteux du printemps sont encore le plus souvent trop 'en mue', sous nos latitudes africaines, pour être désignés avec certitude comme arctiques (leucorhoa) ou "continentaux" (oenanthe) ! D'autant qu'en cette période, les traquets nominaux de Scandinavie ressemblent à s'y méprendre aux traquets du Groenland... Pffff... Peut-être moins de roux, mais plus que chez les sujets méridionaux, et parfois autant que les individus arctiques en pleine métamorphose printanière, donc trop ébouriffés pour avoir déjà recouvré leurs couleurs du bref été polaire... Re-pffff...

Ornithondar note cependant que les traquets motteux de la race nominale oenanthe semblent tous (ou presque tous ?) partis vers le nord pour le périple prénuptial, en cette première semaine d'avril: logique, quand on sait que les conditions d'accueil dans une grande partie de l'Europe sont désormais plus clémentes et propices à leur retour saisonnier. Il n'en est rien pour les sujets de la race péri-arctique leucorhoa: là-bas, tout en haut, il y a encore beaucoup de neige et de glaces !

7 000 kilomètres sans escale par-dessus l'Atlantique !

L'hirondelle rustique (hirundo rustica) est battue. Le traquet (motteux) du Groenland (oenanthe oenanthe ssp. leucorhoa) est désormais le passereau qui parcourt la plus longue distance migratoire au monde: les sujets d'Alaska - pas toujours rattachés à la race leucorhoa-, qui passent l'hiver en Afrique orientale, peuvent effectuer près de 30 000 kilomètres aller-retour entre leur lieu de naissance et/ou de reproduction et leur villégiature hivernale. Les authentiques leucorhoa d'Islande, du Groenland et du nord-est canadien (Terre-Neuve, Labrador) ne sont pas en reste, même si la distance parcourue est moindre que celle de leurs parents/cousins du Pacifique. Car ceux qui vont rejoindre puis quitter l'Afrique occidentale, où ils séjournent en hiver, survolent autrement plus d'étendues sur lesquelles ils ne peuvent absolument pas faire halte: l'océan, rien que l'océan ! Un traquet de la région de Nuuk, au Groenland, aura ainsi 5 985 kilomètres de mer à survoler pour atteindre le bas-delta de Saint-Louis-du-Sénégal. Distance parfois parcourue en trente heures de vol non stop, sans manger ni boire ! Quand on sait que le petit oiseau ne pèse que 25 grammes, on mesure l'exploit. Et les leucorhoa les plus nordiques en rajoutent sur la distance: le suivi par balise de 16 individus de la Terre de Baffin (Canada, 2009-2010)* a démontré que ces traquets volaient d'abord vers la Grande-Bretagne par-dessus le Groenland (soit plus de 4 000 kilomètres) avant de prendre plein sud vers le Sahel littoral (soit plus de 3 000 kilomètres): au moins 7 000 kilomètres d'un voyage éclair - pas plus de sept jours !-, effectué deux fois l'an - on reste sans voix ! Ultime tour de force: si les mâles sont les premiers à rejoindre les sites de reproduction, pour préparer la venue de madame, ils sont aussi les premiers à repartir dans le sens inverse, dès que les affaires sexuelles sont conclues, parfois dès la fin de juin, et souvent alors que leur descendance est à peine sortie de l’œuf... Dans ces lointains arctiques, les stocks alimentaires d'insectes étant limités, le mâle/père s'éclipse très vite pour laisser un maximum de chances à sa progéniture: seule la femelle/mère restera quelques semaines supplémentaires pour enseigner aux oisillons les rudiments de survie en milieu hostile. Avant ses petits, elle prendra à son tour les airs vers la Mauritanie et le Sénégal, principaux sites d'hivernage du traquet motteux leucorhoa, seul passereau nicheur du nord-est américain à migrer vers l'Afrique; encore un record !

Un traquet de la région de Nuuk, au Groenland, 
aura 5 985 kilomètres de mer à survoler d'une traite 
pour atteindre le bas-delta de Saint-Louis-du-Sénégal


* Lire: Le très long voyage du traquet motteux, in Radio Canada, 2012 02 17
Et: Le statut du traquet motteux leucorhoa à Terre-Neuve et au Labrador, par Michael Peckford & Darroch Whitaker, 2005 03

Nota: trois sous-espèces du traquet motteux peuvent fréquenter notre région sahélienne, de juillet à avril:
  • Oenanthe oenanthe ssp. oenanthe (traquet motteux) - la plus commune, bien que plus répandue en zone sahélo-soudanienne qu'au Sahel proprement dit
  • Oenanthe oenanthe ssp. leucorhoa (traquet du Groenland) - moins commune que la race nominale, mais certainement bien présente au Sahel 
  • Oenanthe oenanthe ssp. seebohmi (traquet de Seebohm) - cette race maghrébine parfois érigée en taxon est peu fréquente dans le bas-delta mais régulièrement documentée en hiver, bien que brièvement, du moyen-Sénégal, de Rosso à Matam

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