15-26, Rao-peuhl 1/2: les mystères de Joe le balbu' écossais


Ci-dessus: 2011 10 26. Les chèvres de Rao-peuhl à l'unique abreuvoir des environs, le point d'eau qu'a survolé à plusieurs reprises Joe le balbu d'Ecosse suivi par satellite, à la mi octobre, avant de se volatiliser...

Ci-dessous: 2011 10 26. Cheikh Aïdara et Frédéric au bord du point d'eau de Joe

/ Photos par Rozenn Le Roux pour Ornithondar

* Au nord du lac asséché de Rao-peuhl, à l'ouest de la RN2 Rao/Saint-Louis -

L'ami Tim MackrillProject Officer du Rutland Osprey Project ('Projet Balbuzard du Rutland', Leicestershire, Angleterre, Grande-Bretagne) a demandé à Ornithondar d'enquêter sur l'étrange disparition au Sénégal d'un balbuzard pêcheur écossais bagué et suivi par satellite par Roy Dennis et le Highland Foundation for Wildlife * ('Fondation pour la Nature des Hautes Terres', Ecosse, Grande-Bretagne). Le jeune rapace, prénommé Joe, est d'une fratrie de trois balbuzards nés au début de l'été 2011 dans l'aire la plus nordique d'Ecosse; il effectue sa première migration vers nos tropiques où il devrait séjourner deux à trois années complètes avant d'entamer son premier retour prénuptial vers ses landes natales du Nord. La traversée du Channel, de la France, de l'Espagne, du Maroc et de la Mauritanie a été normale, sans encombre. Le 27 septembre, c'est en abordant le Sénégal par les exploitations sucrières de Richard-Toll que notre aventurier novice a commencé de grandes divagations nord-sud jusqu'en Gambie puis sud-nord, visiblement en quête d'une villégiature sécurisante. Si possible loin de ses congénères adultes et immatures qui passent beaucoup de temps en septembre-octobre à éloigner ces nouveaux venus sur 'leurs' domaines aquatiques (fleuves et grandes rivières affluentes, lagunes et littoral maritimes) précédemment conquis de haute lutte...

Les errements sénégambiens de Joe

Dans le Sahel sénégalais, Joe progresse vers le sud par le lac de Guier avant de bifurquer vers le sud-ouest, passant au nord de Louga puis au-dessus des dunes mortes du Ndiambour. Notre rapace atteint la côte à quelques encablures au nord-ouest du 'désert' de Lompoul avant de longer la Grande Côte à l'arrière de son cordon dunaire reboisé. Dépassant le village de pêche de Mboro, via les Niayes Joe se repose du coté de Sebikhotane, aux portes du Grand Dakar, dans un grand verger de la région. Du 29 septembre au 1er octobre, Joe survole les banlieues de la péninsule du Cap-Vert - quelle drôle d'idée !, prenant tout de même quelques précautions en fréquentant les rares espaces verts et humides de la gigantesque conurbation bien peu accueillante: la dépression dite de la Technopole (Pikine) et le périmètre de reboisement de Mbao. En ressortant du vaste chaos néo-urbain, Joe inspecte attentivement - quelle idée encore plus saugrenue !- les parages bien peu écologiques de l'immense cimenterie Lafarge (Rufisque-Bargny)... Au tour de la Petite Côte d'être visitée par Joe, qui ne s'est pas éternisé du coté de Mbour, préférant atteindre le delta autrement plus adéquat du Sine Saloum; une semaine durant (1-8 octobre), notre vagabond prend plaisir, j'en suis certain, à être tantôt en Gambie (Numi national park et Tanji Bird Reserve) tantôt au Sénégal (delta du Saloum, aval comme amont). Bizarrement dès le 8 octobre, Joe se remet à progresser... mais vers le nord, d'où il venait - un peu comme s'il entamait une migration prénuptiale ! Par Kaolack, Joe remonte vers le Sahel et atteint rapidement le bout du lac de Guier - qu'il avait longé à l'aller !, aux confins de la vallée fossile du Ferlo, où il stationne du 9 au 11 octobre: ce jour-là, Joe vire plein ouest et atteint en début d'après-midi les faubourgs est de Rao (cf. ci-dessous à droite), gros village wolof sur la route nationale N2 Saint-Louis/Dakar, au seuil du delta du fleuve Sénégal.

Ci-dessous: à d., 2011 10 11, signaux GPS de Joe aux portes est de Rao - à g., 2011 10 11-15, les trajets et situations de Joe à l'ouest de Rao, au-delà du lac asséché de Rao-peuhl / Courtesy Roy Dennis, Highland Foundation for Wildlife
Légendes: points de couleurs = points de contact GPS - rond de couleur bleu clair = unique point d'eau probablement utilisé par Joe (cf. aussi photo en haut)













Silence radio

A partir du 15 octobre, les signaux émis par Joe deviennent irréguliers et s'estompent peu à peu, avant de s'éteindre en un silence angoissant. Roy Dennis et mes autres correspondants britanniques pensent aussitôt au pire: Joe pourrait être mort, tombé à la renverse, comme souvent. Et sur le dos de l'oiseau, il y a l'émetteur et sa batterie rechargeable au soleil ! Plusieurs hypothèses pessimistes occupent les esprits: le rapace a-t-il été abattu, au fusil d'adulte ou à la fronde d'enfant ? Attaqué et dévoré par un animal errant ? Blessé, malade, empoisonné ? Ou plus prosaïquement son barda technologique sur le manteau s'est-il dégradé, pour une raison ou pour une autre: l'antenne cassée, tordue, pliée ? L'eau ou la poussière auraient-elles eu raison d'un GPS fragile, défectueux, pas loin d'être encore expérimental ?

Ornithondar sur les lieux, en quête d'indices

Ce n'est que le 26 octobre que Rozenn Le Roux, Cheikh Aïdara et moi-même pouvons nous rendre sur site: précisément sur la rive nord du lac de Rao-peuhl... dont les images satellitaires de 2010 (une saison des pluies jamais revue depuis 1967 !) ne montrent pas qu'en réalité ledit lac est déjà asséché cette année, malgré trois ultimes pluies du 30 septembre au 17 octobre. Autrefois cette dépression était durablement en eau, avant que les aménagements hasardeux de la vallée du fleuve Sénégal et surtout le non entretien du canal du Gandiolais et des vannes du plan d'eau ne finissent par l'assécher - et de faire disparaître un abreuvoir attractif... pour le bétail des éleveurs Peuhls... Les seuls points d'eau en ce début de saison sèche sont localisés dans les bas-fonds naturels qui s'étirent parallèlement au lac mort, au-delà de sa rive nord, jusqu'à la route goudronnée où des marais herbeux se sont formés autour du chenal abandonné (cf. carte ci-après).

Ci-dessous: La zone fréquentée par Joe, plan d'ensemble / Carte Ornithondar

Les derniers signaux de Joe proviennent d'un périmètre boisé de vénérables prosopis qui bordent au nord un bas-fond herbeux en forme de demi-lune (cf. carte ci-dessus), labouré par les phacochères communs. Un point d'eau dégagé ferme le bas-fond en son extrémité nord-est, un tout petit point fréquenté par les chèvres (cf. photo en haut) et les boeufs des fermes qui dominent au sud-est le lac asséché, au sommet des premières collines dunaires du Ndiambour. Un chemin relie les mêmes habitations aux champs arachidiers, plus au nord (cf. carte): en cette période de fenaisons, les charrettes font le va et vient, chargées des fanes d'arachides. De nombreux petits oiseaux s'abreuvent rapidement: des travailleurs à bec rouge, des tisserins vitellins et à tête noire, des tourterelles, quelques alectos. Une bande de hérons gardeboeufs est probablement fidèle au site, même si nous avons trouvé dans les environs trois cadavres récents de ces oiseaux familiers des Hommes...

Notre  hypothèse

Un premier constat: Joe a survolé à de nombreuses reprises le petit point d'eau, et c'est dans son prolongement nord-ouest que 'nous' l'avons perdu !  Pas de traces particulières, pas de plumes au sol, pas de cadavre; pas d'émetteur ou d'antenne, en tout cas pas où nous avons ardemment cherché des indices comme une aiguille dans une botte de foin, en l'occurrence ici des herbes jaunissantes bien vivantes...
En étudiant la configuration des lieux, nous avons l'intime conviction que Joe a tenté de pêcher dans le trou d'eau qui ne doit pas excéder en son milieu 50 cm d'une eau boueuse pourtant animée: on y voit frémir des poissons du genre silures ainsi qu'une énorme nèpe peu engageante... Notre jeune rapace aurait plongé ici et le fracas aurait déplacé ou endommagé son matériel satellitaire. C'est à nos yeux l'hypothèse la plus probable, et la moins dramatique. Nous avons interrogé de nombreuses personnes in situ: des adolescents revenant avec des sacs d'herbage sur les épaules; un berger peuhl menant son troupeau à l'abreuvoir puis en brousse; un jeune homme ramenant ses chèvres au bercail; des enfants rapportant du bois en charrette: l'oiseau ne semble pas connu, même dessiné par Nik Borrow ! Alors que certains savent qui est le circaète mangeur de serpents...

Un balbuzard au loin, could be Joe ?

Vers 16h15, pour rejoindre la route nationale en longeant un marais à dendrocygnes et une ancienne carrière à patas, nous avons l'heureuse surprise d'apercevoir dans le lointain, venant par le sud-est un balbuzard (peut-être un mâle, en plus !): malheureusement trop loin (cf. photo ci-dessous) pour deviner une bague ou une antenne sur l'oiseau. Le balbuzard survole tranquillement en altitude le lac asséché de Rao-peuhl avant de cercler dans les ascendants pour se laisser déporter vers l'ouest et le Gandiolais. Et si c'était Joe, le balbu d'Ecosse ?

* Lire: http://www.roydennis.org/osprey/index.asp?id=247&sid=244
Lire aussi, sur le second déplacement d'Ornithondar à Rao et la découverte des restes de Joe in situ:
http://ornithondar.blogspot.com/2011/12/13-ornithondar-retrouve-les-restes-de.html


Ci-dessous: 2011 10 26 fin d'aprem', un balbuzard au loin... / Photo par Rozenn Le Roux pour Ornithondar

Commentaires

  1. Thank you so much for going and checking on the area of Joe - it's interesting to me that the lake I could see on GoogleHearth was basically dried up and nearly unsuitable for fishing ospreys. I think the young ones have a hard time finding enough food when the adults take over the best places.

    Thanks for making the journey and sending the photos - I will use some on Joe's webpage.

    Best wishes.
    Roy Dennis,
    Highland Foundation for Wildlife, Scotland

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