27, de tous les passereaux paléarctiques c'est la Pie-grièche à tête rousse qui nous revient en premier - un juvénile, en plus !

Pie-grièche à tête rousse - lanius senator, juvénile de deux mois maximum !
premier passereau paléarctique arrivé au sud du Sahara pour... l'hiver !
Plaine alluviale du fleuve Sénégal 2016 07 27, 12h25 / © Photo par Frédéric Bacuez,

* Digue bangotine, plaine alluviale du Sénégal -

MIDI-
Le long de la piste-digue totalement embourbée après les trois dernières pluies, un passereau typique des espaces ensoleillés, ouverts et arbustifs, vole de petits prosopis en bas prosopis, sans grande peur du berger enturbanné qui me réclame 'cadeau' parce que je braque mes jumelles dans sa direction - dieux qu'ils sont abrutis... C'est une Pie-grièche à tête rousse (lanius senator, woodchat shrike), de la race nominale senator (on devine la tâche claire à la base des primaires, qui la différencie de la sous-espèce badius des îles méditerranéennes). C'est aussi et surtout mon premier passereau paléarctique migrateur postnuptial de la saison ! Un 27 juillet, quelle précocité ! Et quel empressement, pour gagner les steppes à mimosées de l'Afrique sahélo-soudanienne ! 

Cette Pie-grièche à tête rousse est un tout jeune oiseau, d'à peine deux mois et quelques jours. Le bambin, qui étire le cou ou effectue toutes sortes de contorsions, est très occupé par la myriade d'insectes qui l'accueillent et ont tout l'heur de l'impressionner. Il est vrai que là d'où il vient, ce n'est souvent pas Byzance, de nos jours, en matière d'insectes... Qu'il se hâte d'en profiter, ça ne durera plus éternellement, ici aussi ! A y regarder de plus près, puisque le jeune migrant ne semble pas effarouché, on se rend compte que sa première mue, dite des contours, a déjà permis à l'oiseau d'être reconnaissable de sa cousine la Pie-grièche écorcheur (lanius collurio, qu'on ne rencontrera pas ici car l'espèce migre en diagonale, de l'Europe occidentale vers l'Afrique orientale), et donc rapidement identifiable - par l'ornitho ! Pour l'heure, on ne fait que deviner son futur et fameux 'bonnet' roux... Une seconde mue, incomplète, interviendra au cours de son séjour hivernal subsaharien, avant que le passereau ne reparte vers le monde méditerranéen et tempéré (une remontée prénuptiale très étalée, de février à mai) pour une première (et éventuelle) reproduction en 2017. Si tout se passe bien.

Nota 1: Les Pies-grièches à tête rousse (lanius senator senator) sont connues pour être les premiers passereaux du Paléarctique [tous les biomes au nord du Sahara] à apparaître pour leur hiver dans notre région afrotropicale. Il est d'ailleurs remarquable de noter que pour une fois, ce ne sont pas les voyageurs au long cours, d'abord des limicoles, qui viennent de loin (les zones péri arctiques) pour aller loin (parfois jusqu'en Afrique du sud) qui emportent la palme de l'oiseau le plus prompt à revenir sous nos latitudes ! Il s'agit bel et bien d'un petit oiseau essentiellement méditerranéen, donc de régions dites chaudes, qui aborde le Sahel au moment de la mousson ouest-africaine. Un migrateur de courtes à moyennes distances. Qui pourrait, en théorie, ne pas se précipiter pour nous revenir. Et bien si ! Car l'insectivore invétéré doit profiter au maximum de l'explosion de ses proies là où soleil, chaleur et hygrométrie sont les plus avantageux... Et à cette période, en années normales (d'un cycle trentenaire plutôt humide) c'est au Sahel qu'il fait bon vivre, pour une Pie-grièche ! C'est ici et maintenant que le banquet devient le plus copieux, surtout si les pluies ont atteint nos rivages (sahel, en arabe) à temps... C'est bien parti pour être le cas, en 2016: les flux de mousson avaient très tôt reverdi les latitudes soudano-guinéennes puis, amina, offert dès le 20 juillet quelques bonnes pluies à la vallée du fleuve Sénégal ! C'est donc comme il (le) faut, pour un passereau qui vient de traverser (ou quitter) la fournaise estivale du Maghreb, et de survivre à l'enfer trans-saharien...

Premières (vraies) pluies: les 20, 21, 25, 26 et 27 (matin) juillet 2016 
Première Pie-grièche à tête rousse, 27 (midi) juillet 2016
Tirez-en vous mêmes vos conclusions !...
- Qu'on ne me dise pas après qu'il n'y a pas d'intelligence, 
même seulement pratique, chez ces petites bêtes !
Quand je vois que certains bipèdes se mettent à couper du bois humide 
après ces cinq pluies... près de neuf mois après la dernière ondée !


La migration des Pies-grièches à tête rousse est de longue date bien documentée - déjà au Maroc, dès 1903 ! Au Sénégal, la station ornithologique de Richard-Toll animée dans les années '60-70 du siècle dernier par le couple Marie-Yvonne et Gérard Morel (IRD ex Orstom) avait répertorié les dates d'arrivée et de départ de notre passereau. Morel & Roux avaient surtout indiqué qu'on pouvait s'attendre à voir lanius senator dans le nord du Sénégal "parfois dès le 15 juillet, régulièrement aux premiers jours d'août et, en abondance à partir du 15 août."* Précisant, néanmoins, que les juvéniles n'apparaissaient qu'à la fin du mois... d'août - ce qui est dans la norme, chez la plupart des oiseaux migrateurs, les jeunes de l'année s'envolant vers leur premier quartier d'hiver que plusieurs semaines après les adultes... Or, là, il s'agit bel et bien d'une Pie-grièche juvénile, sur le bord de la digue bangotine ! Arrivée avec un mois d'avance ! Exploit remarquable pour un oiseau à peine émancipé dont la plupart des congénères de même génération sont, pour les plus rapides, en train d'apprendre à se nourrir comme des grands, sur le territoire de leurs parents - avec ou sans eux.

Si les adultes de lanius senator peuvent atteindre le Sénégal dès le 15 juillet, 
on n'y attend les premiers juvéniles qu'en fin août... 
Pourtant, notre Pie-grièche du jour n'a guère plus de deux mois 
et se trouve être la première arrivée, avant même des adultes 
- voire ses parents, s'ils n'ont pas précocement disparu ! 
Un miraculé ?! Un orphelin, alors ? Un fugueur, peut-être ! 
Un aventurier, certainement...
Qu'on m'explique ?!


Pie-grièche à tête rousse - lanius senator senator, migrateur de 1ère AC précocement arrivé au Sénégal !
Plaine alluviale du Sénégal 2016 07 27, 12h25 / © Photo par Frédéric Bacuez

Petite maternité mathématique... 
Sur la base d'une toute première ponte, au 10 mai (pic des pontes entre le 15 mai et le 5 juin):
couvaison de 14 à 16 jours - soit jusqu'aux 24-26 mai
éclosion asynchrone sur 2 à 3 jours des 4 à 6 œufs dont notre pie-grièche est issue - soit du 24 au 29 mai
au nid pendant 16 à 20 jours - soit jusqu'aux 9-13 juin
après l'envol, suit ses parents durant 4 à 6 semaines - soit jusqu'aux 9-13 juillet ou 16-23/27 juillet !

Conclusion: 
notre bambin est non seulement d'une ponte précoce (~10 mai) 
mais en outre, il a très vite su se débrouiller pour se nourrir sans ses parents, très tôt lors de l'initiation ! 
Nous avons là un champion, indépendant, prêt à tous les défis 
- et dieux savent qu'il va en connaître, des obstacles et des dangers ! 
Bonne chance à toi, jeune ami(e) !


Nota 2: l'hiver en brousse, la Pie-grièche à tête rousse est le passereau du Paléarctique le plus fréquemment rencontré, à telle enseigne qu'on finit par ne plus lui prêter attention, dès l'installation de la saison sèche... C'est un tort, car il me semble qu'ici aussi l'insatiable insectivore est en déclin. Idiote remarque... car logique de constater qu'un oiseau dont les effectifs ont été très affectés en Europe et dans une moindre mesure au Maghreb le soit aussi dans ses quartiers d'hiver... J'en conviens, sauf que j'ai souvenir qu'il y a seulement huit ans les Pies-grièches étaient autrement plus abondantes, dans le bas-delta du Sénégal. Dans son biotope favori, la savane à mimosées sur tapis herbacé très court voire sur sols nus, qui ne manque pas dans notre Sahel, dans le walo (terres basses) comme sur le diéri (terres hautes), cette Pie-grièche "s'y cantonne à raison d'un individu pour 10 à 30 hectares suivant les années et, vraisemblablement, les ressources alimentaires." (Morel & Roux, 1966*)... Il y a donc de nombreux territoires perdus là où l'oiseau devrait être installé pour six à huit mois. On sait que le passereau a décliné en Europe (notamment en France) avec la destruction puis l'artificialisation de ses habitats, la massification agrochimique des campagnes ayant entraîné une raréfaction drastique des insectes, ses proies, notamment des coléoptères, des orthoptères et tous les coprophages associés au bétail. Hélas, comme toujours, on en sait beaucoup moins sur l'impact des aléas (naturels et non naturels) sur les terrains hivernaux de la Pie-grièche: quid des conséquences sur la dynamique des insectes locaux dans un environnement bouleversé par la folie rizicole, par la saturation de l'air, des végétaux et des cours d'eau par l'usage sur-intensif des insecticides et autres mirages de la chimie ? Qu'en est-il de l'emploi de produits vétérinaires peu et mal contrôlés, qui assainissent si bien le cheptel que même leurs selles sont indemnes... d'insectes... Plus rien à bouffer dans la bouse donc plus d'insectes coprophages donc plus... de Pies-grièches, à terme. C'est déjà le cas des Piqueboeufs à bec jaune (buphagus africanus), en très fort déclin en Afrique de l'ouest: plus rien à piquer sur leurs hôtes ! Propres sur elles, aseptisées, elles pètent la santé, nos vaches sahéliennes, aujourd'hui ! On se croirait bientôt dans les alpages de Samance, en Haute-Savoie des Alpes françaises...


" La Pie-Grièche [à tête] rousse précède 
dans leurs quartiers d'hiver sénégalais 
tous les autres passereaux paléarctiques. "
* - Gérard Morel & Francis Roux,
 'Les migrateurs paléarctiques au Sénégal / II. Passereaux et synthèse générale', 
in La Terre et la Vie, ORSTOM / IRD 1966

Ci-dessous:
une toute jeune Pie-grièche à tête rousse pour une première arrivée de saison d'un passereau du Paléarctique...
Plaine alluviale du Sénégal 2016 07 27, 12h25-12h30 / © Photos par Frédéric Bacuez

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