23, les filets déchirés et les plastiques émiettés tuent

 Abdoulaye et le filet de pêche récupéré du jour...
2010 11 5 / © Photo par Frédéric Bacuez

* Bango. Les deux Djeuss -

Drame mortel dans les eaux douces du Djeuss, du coté de la digue qui sépare les deux marigots: la nuit dernière, un homme s'y est noyé, les mains empêtrées dans les mailles d'un filet de pêche abandonné à la nature aquatique. Après 33 ans d'absence de son village natal de Bango, l'homme était revenu de Touba, la ville sainte des Mourides où l'on ne marche guère ni sur ni dans l'eau, et accompagnait un pêcheur local dans sa collecte noctambule. Une fin stupide, révoltante car évitable...


Ces filets de nylon 'made in China', peu résistant mais particulièrement cisaillant, traînent partout, de nos jours. Nos grands pêcheurs d'eau douce s'en débarrassent sur place dès que les mailles fragiles se déchirent. Les enfants du village, qui ont le droit de tromper le sinistre ennui dans lequel on les laisse croupir, ramassent ces bouts de filets et s'en servent comme épuisettes ramasse tout. Dès que le jeu lasse, ou quand le soir tombe, les fouillis de nylon sont jetés à l'eau ou délaissés sur la vase des marigots. Pièges passifs pour les petits poissons, et les crabes que l'on ne mange pas mais que les... filles adorent démembrer ou piétiner. Pièges traîtres pour les oiseaux des vasières, aussi. J'observe régulièrement des aigrettes (egretta sp.), des échasses blanches (himantopus himantopus) et même des spatules d'Europe (platalea leucorodia) blessées par ces fils de nylon qui accrochent les pattes frêles.

Ci-dessus: 
poissons et sacs plastiques sur les rives du Djeuss
2010 11 22 midi / © Photo par Frédéric Bacuez


Quant aux plastiques - bouteilles, pots, emballages divers et tous les sachets gratuits !-, ils envahissent le moindre des recoins du pays, désormais. A Bango, toute la berge sud du Djeuss en est jonchée, peu à peu avalés ou recouverts par les marées. A l'occasion de l'Aïd, mes voisins ont fait leur nettoyage annuel de leur bout de rivage: avec mon râteau, ils ont réuni tout ce que l'intérieur du quartier vient jeter devant leur maison, puis creusé un grand trou dans la vase... Ni vu ni connu, le problème est sous la gadoue... Je ne serai pas plus rassuré quand on me dit, par ces temps de nivellement et de relativisme forcenés, qu'ailleurs c'est pareil. Alors, si c'est pareil ailleurs, il ne nous reste plus qu'à tuer leurs jours et nos nuits à louer dieux et prophètes... Le monde entier est défiguré par le plastique, et ça ne déclenche aucune révolte ! C'est accepté, et de plus en plus perçu comme inéluctable, bientôt un 'patrimoine' mondial et de l'humanité et de la nature ! Il y a longtemps que je suis convaincu qu'il s'agit là du plus grand fléau de notre siècle, qui n'affole pas parce qu'en effet les lobbies du pétrole veillent à la non information. Lorsque je tente d'expliquer aux pêcheurs du Djeuss que le plastique nourrit désormais en partie leurs poissons, ils me regardent comme si j'étais un extra terrestre: réellement contaminés, de plus en plus souvent atteints de malformations, ces petits poissons mangent comme quatre... mais ne grossissent plus ! Il suffit de prélever dans les sables ou dans les eaux de la région de Saint-Louis pour vite comprendre: une quantité de minuscules points de couleur parmi les grains naturels; c'est le plastique désintégré qui s'est introduit dans la chaîne de vie, y compris alimentaire. On commence à peine à découvrir que le plastique, en particules invisibles à l’œil nu, est entré dans le corps humain; certains troubles hormonaux y seraient directement liés.

* En prélude à un film-documentaire qui sortira en avril 2011, les autrichiens Werner Boote et Gerhard Pretting publient la somme de leurs enquêtes sur cette invasion mondiale par le plastique, dans un livre choc: 'Plastic planet, la face cachée des matières synthétiques', éditions Actes Sud 2010.

Lire aussi:

http://www.goodplanet.info/Contenu/Depeche/L-Afrique-va-echouer-a-remplir-les-objectifs-du-millenaire-sur-l-eau/(theme)/2102

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