Deux Marabouts chez les Modou-Modou du Diambour

 
* Dix kilomètres au nord de Louga -

Au nord de Louga dans le Ndiambour, Ngueune Sarr est un village qui affiche avec un art achevé du kitsch répétitif la réussite de ses fils émigrés qui réinvestissent au pays le fruit de leur labeur, ou d'un commerce triangulaire autrement moins respectable, le pot aux roses n'est pas encore d'actualité... Dans ces maigres ondulations de dunes paralittorales, il y a eu quelques surprises, ces dernières années : Vautour oricou (Torgos t. tracheliotos, EN/UICN) et Bucorve d'Abyssinie (Bucorvus abyssinicus, VU/UICN), par exemple. C'est aussi dans cette région que la route rectiligne s'offre quelques discrètes courbes et trompe un peu la monotonie d'un paysage austère, de plus en plus disgracieux, les Hommes contribuant du mieux qu'ils peuvent à en parfaire l'irréversible enlaidissement. Par là aussi que les autobus ont cette fâcheuse habitude de culbuter en rivalisant de scores mortuaires effroyables, déclenchant leurs engagements martiaux mais oniriques chers à l'Afrique et, on peut le dire, à l'époque : "plus jamais ça !", jusqu'au carnage suivant, parfois quelques jours après le précédent. Sans que rien ne change. C'est la volonté des cieux.

Le plus souvent la fatalité est un animal domestique mais pas du petit chat ; cheval, zébu, âne, parfois entravé par un lien de vieux tissu, prostré au beau milieu de la chaussée. Le choc est des plus violents. On comprendra pourquoi la zone est assidument fréquentée par les Vulturidés de cinq espèces (Vautour africain, Vautour de Rüppell, Vautour charognard, Vautour oricouVautour fauve). Les nécrophages ont compris le parti qu'ils pouvaient tirer des 160 kilomètres de cette généreuse N2 entre Thiès et Mpal, en attendant que l'autoroute à tombeau ouvert n'y vienne faire le ménage définitif : c'est le seul garde-manger fidèlement approvisionné mille lieues à la ronde, combien son accès est également dangereux pour les volatiles quand la table est ouverte à même le bitume...

Marabouts bouts de ficelle

Le 30 mai dernier vers 10h45 du matin, nos camarades Alix et Daniel Mignot découvraient, en passant, une (énième) "petite fête après un accident asin". Pour le festin, les classiques gyps sub-sahariens perchaient sur les arbres environnants, surplombant des "convives" devenus inhabituels à cette latitude : deux (2) Marabouts d'Afrique (Leptoptilos crumenifer). Des aventuriers en provenance très probable des petites colonies gambiennes ou du Niokolo Koba (voire peut-être du Sine Saloum), où l'espèce est (irr)régulièrement observée, encore présente à l'année. Dans notre bas-delta (comme dans tout le septentrion sénégalais), le plus grand échassier 'sauvage' du pays après l'autruche a déserté son ultime colonie du Djoudj, où une quinzaine de paires avaient été trouvées nichant sur des Tamarix senegalensis le 30 décembre 1981 (obs. col. A. R. Dupuy, in Morel & Morel, 1990). Le marabout était déjà bien raréfié dans toute la région (Mauritanie, Mali, Sénégal) dès la seconde moitié du XXe siècle alors qu'il continue de prospérer aujourd'hui dans l'Afrique orientale. Seul son étonnant nomadisme - qui a pu l'emmener jusqu'au Banc d'Arguin mauritanien, jadis (mars 1966, in Isenmann et al., 2010)- en fait encore un échassier du Sahel, principalement du bas-delta fluvial côté sénégalais. Le nombre de ces erratiques a drastiquement diminué depuis un demi-siècle, c'est dire que les colonies méridionales elles-mêmes ont dû voir leurs effectifs décliner : hors-saison (mars-novembre), on pouvait à l'occasion observer des pompes de 35-50 individus sur nos marges pré-sahariennes, dans les années '60-90 de l'autre siècle. Mêlés aux cercles des Cigognes blanches, surtout, Cigognes noires et Tantales ibis, et bien évidemment des Vulturidés, les Marabouts omnivores n'en demeurent pas moins des charognards. En ce XXIe siècle mortifère, au-delà de trois sujets ensemble perdus dans une grande ascension aviaire, ce serait de l'ordre du miracle sanctifié !

Des dernières mentions maraboutées au XXIe siècle sur nos marges sahéliennes (Sénégal-Mauritanie) : 

  • deux (2) ind. photographiés par Alix & Daniel Mignot au seuil de Ngueune Sarr (Diambour, Sénégal) le 30 mai 2024 (cf. cette notule)
  • un (1) ind. contacté par Gabriel Caucal dans l'Aftout es saheli (Trarza, Mauritanie) le 16 janvier 2024.
  • pour ma part, j'ai pu documenter deux solitaires, un (1) ind. le 14 avril 2017 sur le marigot de Khant-sud (Trois-Marigots) ; un (1) ind. le 9 juillet 2016 au bas de la grande cuvette du Ndiaël (mare Ndaymane).
  • les autres données publiques récentes de l'espèce sur nos confins sahélo-sahariens sont de mars 2007 (3 ind., lac d'Aleg, Mauritanie) et mai 2004 (3 ind., PNOD, Sénégal).

En haut de notule et ci-dessous : 
deux Marabouts d'Afrique en visite dans le Diambour
Vers Ngueune Sarr, 30 mai 2024 / Courtesy @ photos A. & D. Mignot pour Ornithondar

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