Résumé : rare documentation d'un Engoulevent d'Europe (Caprimulgus europaeus ssp. europaeus ou meridionalis, Eurasian Nightjar ssp.) en mai 2023, par Vieux Ngom, par ailleurs (excellent) écoguide au PNOD. L'oiseau en très probable halte migratoire prénuptiale reposait sur une branche d'eucalyptus à Diama, à proximité du fleuve Sénégal, face à la Mauritanie. Les observations de cette espèce en Afrique de l'Ouest sont anormalement très faibles, tendant à démontrer que cet engoulevent n'y est que de passage voire un hivernant à la marge, lui préférant traditionnellement l'Afrique orientale et australe; mais aussi l'Afrique centrale pour les oiseaux les plus occidentaux de l'Europe et de la Méditerranée : le suivi satellitaire de sujets britanniques en 2015, 2017 et 2021-22 vient opportunément éclairer nos interrogations.
* Diama, mai 2023 -
Ci-dessus :
Engoulevent d'Europe au repos diurne sur branche d'eucalyptus
Diama 2023 / Courtesy @ photo par Vieux Ngom (via Bram Piot)
Belle pioche pour notre camarade Vieux Ngom, au mois de mai 2023, du côté de Diama ! Il suffisait de lever les yeux vers le clair feuillage d'une rangée d'arbres pourtant peu réputés pour leur biodiversité, les eucalyptus : un (1) Engoulevent d'Europe (Caprimulgus europaeus ssp.), de tout son long sur sa perche diurne. A cette date, au vu de l'improbable lieu et du type de reposoir, cela ne pouvait être qu'un oiseau en halte migratoire, espérant patiemment le crépuscule pour reprendre sa route trans-saharienne vers le nord. Exclusivement de nuit.
Les mentions a fortiori documentées de l'Engoulevent d'Europe dans notre région ouest africaine du Sahel sont fort rares et ne devraient concerner, a priori, que des sujets en halte migratoire, entre leurs stations hivernales d'Afrique centrale et australe et leurs terres de reproduction méditerranéennes des deux rives pour la race meridionalis, de l'Europe dite tempérée pour la sous-espèce nominale.
- 1 ind. en mai 2023 à Diama (obs. V. Ngom, lire cette notule)
- 1 ind. le 2 novembre 2012 près de l'hôtel du Djoudj (PNOD) (obs. P. Osenton et al.)
- 1 ind. le 12 novembre 2010 dans une ripisylve de la plaine de dé/crue du fleuve Sénégal à l'aval du barrage de Diama (obs. E. Cosson, M. Cupillard & F. Bacuez)
- 1 ind. le 3 février 2009 photographié au pied d'un Tamarix senegalensis, déjà à proximité de l'hôtel du Djoudj (PNOD) (obs. F. Crystal)
- Aux marges du biome soudanien, 2 ind. le 8 janvier 2016 dans la réserve naturelle communautaire du Boundou (RNCB) (obs. J. Delannoy)
Deux données récentes (avec photos) en Gambie d'un individu chacune, des 28 octobre et 20 décembre 2023, dans un pays mieux couvert par le birdwatching que son grand voisin sénégalais, confirment les observations locales rapportées à l'époque par Morel & Morel (01/1970, 01/72, 11/75, 01/76), "late Oct-Feb" nous disent les anglophones Borrow-Demey. Seul rappel sénégalais par nos ancêtres sénégaulois, un juvénile de C. e. meridionalis avait été capturé dans le parc national du Djoudj (PNOD) le 2 novembre 1975.
Discussion-
La France accueillerait 10% de la population européenne de ce Caprimulgus estimée à 470 000-1 million de couples, Turquie incluse. La péninsule ibérique plus que le Maghreb est un gros bastion de sa sous-espèce méditerranéenne. Question : mais alors, où passent en hiver et dans notre région les représentants des deux races (europaeus et meridionalis), "hautement migratrices" ? Les données disponibles en Afrique de l'Ouest, tous pays confondus, sont si faibles qu'il serait hasardeux de tirer un quelconque portrait de l'oiseau dans ses pérégrinations sub-sahariennes (côté atlantique du continent). A la différence du côté oriental (Océan indien) où les observations de l'espèce sont fréquentes et classiques, de Djibouti à l'Afrique du Sud.
Cependant, le suivi récent par GPS de sujets C. e. europaeus britanniques offre probablement une réponse à nos énigmes sénégalaises; il suffit de regarder la carte du parcours des oiseaux taggés, c'est éloquent ! Ce programme du British Trust for Ornithology (BTO) indique que parmi les engoulevents anglais géolocalisés en 2015 (11 ind.), 2017 (22 ind.) et 2020 (15 ind.)*1, neuf (9) avaient été récupérés - et ils avaient 'parlé' : ceux-ci avaient hiverné dans les prairies savanicoles au sud de la cuvette congolaise, ce qui n'avait pas été envisagé jusqu'alors. Villégiature au demeurant des plus dangereuses pour l'espèce crépusculaire comme pour tout ce qui fait le Vivant : un engoulevent bagué d'Estonie y a récemment fini sa très brève existence dans l'assiette congolaise d'un employé d'une expédition naturaliste belge... La savoureuse anecdote, pleine de sens, ne dit pas si la bague a été récupérée avant ou après consommation ! Elle raconte cependant la déperdition, jamais vraiment documentée ou alors très pudiquement, de ces millions d'oiseaux qui finissent dans le tube digestif des Hommes en cette vaste partie de l'Afrique. D'autres données issues d'eBird, à peine plus étoffées que celles d'Afrique occidentale, trouvent des hivernants au Cameroun comme au Gabon, ainsi que sur l'île équato-guinéenne de Bioko. Ceux-là, comme les britanniques de RDC, tendraient-ils à démontrer que nos engoulevents d'Europe occidentale effectuent une migration postnuptiale transversale NO-SE, délaissant globalement les latitudes sahélo-soudaniennes et même le reliquat forestier du Golfe de Guinée ? C'est fort probable. Il y a aussi quelques données migratoires, d'octobre en plein Sahara (oiseau mort sur la chaussée) pour la descente postnuptiale, rapide et plutôt directe; d'avril dans le nord-ouest du Ghana et de juin au Sahara marocain, pour la remontée prénuptiale, plus lente, étale. Mais quid de ces mentions gambiennes et sénégalaises au coeur de l'hiver ? 8 janvier dans le Boundou, 3 février dans le Djoudj ! Des hivernants marginaux ? Ou de précoces et erratiques individus remontant vers le nord en faisant un grand détour ? Les premiers sujets reviennent au Maroc dans la seconde quinzaine d'avril, comme en France - intéressante concomitance qui pourrait bien confirmer l'idée d'une migration transversale-, culminant en mai jusque début juin. On laissera le dernier mot à Patrick Bergier et al., extrait de l'incomparable Oiseaux du Maroc/Birds of Morocco*2 : "le passage postnuptial peu important, beaucoup d'oiseaux européens migrant à l'est du Maroc. (...) Le passage de printemps, plus sensible et sur un large front (...). Le Sahara Atlantique est largement évité, aussi bien à l'automne qu'au printemps." Tout ceci confirmant peut-être tout cela...
*2 Bergier, P., Thévenod, M., Qninba, A. & Houllier, J-R. (2022), Oiseaux du Maroc/Birds of Morocco, SEOF, Muséum National d'Histoire Naturelle, Paris - pages 109-110
Additif-
Pour finir, ces deux photos prises dans le parc national du Djoudj (PNOD) par notre camarade écoguide, Vieux Ngom : d'un Engoulevent du désert (dit du Sahara, Caprimulgus aegyptyus ssp. saharae, ci-dessous à g.), un hivernant rare et très localisé, le 24 décembre 2020 au pied de salicornes; et d'un Engoulevent doré (dit de Zinder, Caprimulgus eximius ssp. simplicior, ci-dessous à d.) le 5 décembre 2022, 'cible' privilégiée des ornithotouristes et de leurs leaders dans notre septentrion sahélien (lire ICI sur Ornithondar)*.
* Sept espèces d'engoulevents peuvent a priori fréquenter le Sahel sénégalais : lire ICI sur Ornithondar
A Vieux Ngom & Bram Piot, tous les remerciements de l'Ornithondar pour le partage des 'preuves'...
Ci-dessous :
à g., Engoulevent du désert saharae - à d., Engoulevent doré simplicior
PNOD décembre 2020 & 2022 / Courtesy @ photos par Vieux Ngom via Bram Piot
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