La traque du Traquet de Heuglin au Sénégal, du nord au sud


Résumé : retour sur le Traquet de Heuglin (Oenanthe heuglini), une des dernières espèces à avoir intégré la liste des oiseaux résidents du Sénégal (2012) après un premier contact 'accidentel' dans notre nord (2007). Peu fréquent à l'ouest du Nigeria, longtemps l'oiseau a été quasi ignoré par les ornithologues de la région, échappé à une pression d'observation bizarrement plus vacillante au Sénégal... qu'en Mauritanie voisine. Apparitions encore mal comprises dans la bande sahélienne riveraine du Sahara; possible 'localisme' (sic) de l'espèce; et, aussi, probable confusion avec des femelles d'autres taxons plus communs. Ces dernières années, les ornithos' semblent vouloir réparer ces regrettables inattentions. A vos jumelles, appareils photos et micros directionnels, alors ! Car les enregistrements sonores de l'oiseau manquent sérieusement, avis aux amoureux du sonagraphe (ils se reconnaîtront)...

Parc national du Djoudj : première observation du Traquet de Heuglin au Sénégal (titre originel de ma notule sur Ornithondar 2011 11, brouillon non publié) :

  • Un sujet est observé (puis dessiné, cf. ci-dessus) le 18 janvier 2007*1 en lisière du bosquet de Gainthe, au coeur du parc national des oiseaux du Djoudj (PNOD), dans cette steppe à barkhanes souvent très intéressante à scruter tant elle réserve d'agréables surprises.

*Le Nevé, A. ; Bargain, B. ; Guyot, G. (2011), Observation of a Heuglin's Wheatear Oenanthe heuglini in the Djoudj National Park: a new species for Senegal, Short Notes - Notes Courtes (21 mars 2011),  in Malimbus, Journal of West African Ornithology , Volume 33 n°2, p. 86-87

Le Traquet de Heuglin (Oenanthe heuglini, Heuglin's Wheatear) est un passereau afrotropical qui ressemble fortement au Traquet à poitrine rousse (O. frenata), endémique d'Ethiopie et d'Erythrée, lui-même conspécifique du Traquet botté (O. bottae) de l'autre rive de la mer Rouge (Arabie Saoudite, Yémen). La distribution d'O. heuglini est cependant large à travers le continent au nord de l'équateur, dans sa bande soudano-sahélienne, de l'ouest éthiopien et des marges nord-est de l'Ouganda avec l'extrême nord-ouest du Kenya jusqu'aux confins mauritaniens vers l'occident. Espèce répandue mais jamais fréquente sauf localement, parfois assez commune dans certaines régions comme les plateaux nigérians de Jos et d'Abuja, ceux du Cameroun, et les frontières ougando-kenyanes. Plus à l'ouest, l'espèce fort peu connue peut être confondue, et a pu l'être dans le passé, avec la femelle du Traquet motteux (Oenanthe oenanthe), pourtant plus claire, notamment sur le manteau (toujours gris comme la nuque, ce qui n'est jamais le cas chez Oenanthe heuglini), voire avec le Traquet isabelle (Oenanthe isabellina), autrement plus grand, élancé et uniformément brun chamois. Notre Traquet de Heuglin est à la vérité d'aspect plus sombre et rouille (chamois orangé sur la poitrine et les joues) que ses cousins sus-cités, a fortiori les deux derniers. La gorge reste claire mais moins significativement, le plus souvent rongée par le rouille de la poitrine. Quant au sourcil blanc, avec des traces plus chaudes à l'avant de l'oeil, il est très étroit, quelquefois indistinct. Les sexes sont similaires - ce qui n'arrange pas non plus l'observation incontestable. Les juvéniles sont le plus souvent brun chocolat bien que les documents du plateau de Dandé (Sénégal 2012) semblent présenter des jeunes quasi identiques aux adultes. Le spécimen saisi par le regretté Robert Tovey dans la banlieue nord de Nouakchott (Mauritanie 2018) paraît bien plus sombre.

Réputé "timide" et hochant la queue plus fréquemment que d'autres traquets, Oenanthe heuglini affectionne les petites altitudes planes à savanes dégradées d'herbages ras, singulièrement les jachères et cultures sur brûlis parsemés de souches d'arbres et arbrisseaux (cf. photo ci-après), de roches et d'inselbergs. Les 'champs' de termitières champignonnistes (Mushroom termite mound) ont toute sa faveur sur le plateau de Dandé, au Sénégal. L'habitat résidentiel du Traquet de Heuglin est en Afrique orientale voisin des 1500-2300 mètres d'altitude; plus bas en Afrique occidentale : 1280-1800 m sur le Jos (Nigeria), mais seulement de 350-460 m en moyenne dans le Fouta Djalon (Guinée) et les hauteurs de Dandé (Sénégal). Et de 200-300 m sur le plateau mossi (Burkina Faso).

Hormis une mention malienne de Tombouctou sur eBird, datant du 10 août 1990 (par Ted Cable), seuls Paul Isenmann et al. dans leur remarquable Oiseaux de Mauritanie (2010, p. 283) avaient renseigné sur les toutes premières données de ce traquet non seulement dans le pays mais aussi dans la région, toutes antérieures à l'observation sénégalaise du Djoudj : quatre mentions non datées dont une d'octobre à Nouakchott (Lamarche 1988) ; une de décembre 2002, du parc national du Diawling ; et une du 5 avril 1999, de Mâl (par Y. Kayzer). 

Il est écrit ici et là que le Traquet de Heuglin est/serait un migrateur intra-africain ; ou sujet au nomadisme, en quête de brûlis (un peu comme le Courrvite à ailes bronzées - Rhinoptelus chalcopterus). En regardant de près les données datées de notre oiseau dans sa bande de répartition soudano-sahélienne, je ne trouve pas de tendance significative démontrant un déplacement saisonnier sud-nord et vice versa, en bon ordre et au gré du Front Inter Tropical (FIT). Même s'il a atteint Agadez (Aïr, février), Tombouctou (août) et Nouakchott (octobre, février). Tout en étant rapporté de Guinée-Bissau en février également. Dans l'Afrique à l'ouest des monts Mandara, on peut au moins penser que l'espèce se reproduit dans l'écorégion dite des savanes occidentales, au sud du 13°N.

Addendum 2023 04 21. 
Depuis la première mention sénégalaise de 2007, qui avait enrichi la liste des oiseaux (accidentels) de notre septentrion sahélien, de nouvelles données font désormais du Traquet de Heuglin une espèce à part entière de la liste des oiseaux du Sénégal - résidente et reproductrice qui plus est, même à quelques encablures de la Guinée ! De celles que j'ai pu recueillir, en voici ci-après l'ordre chronologique, de la plus ancienne à la plus récente :

Au Sénégal -
  • Un couple (2) nourrissant trois (3) juvéniles est photographié le 15 avril 2012 (par Guillermo Mayor, d'un groupe mené par José Maria Fernandez-Garcia*2dans la réserve naturelle communautaire de Dindéfélo (RNCD), à l'évidence sur un 'champ' de termitières-champignonnistes du plateau de Dandé, vers Nandoumary
  • Sur le même plateau de Dandé : jusqu'à quinze (>15) oiseaux dont des adultes, y compris chanteurs, et pas moins de quatre jeunes sont observés et photographiés les 22 & 23 mars 2016 par une équipée emmenée par Jean-François Blanc*3
  • Dandé, décidément : sur eBird sans autres précisions qu'un duo photographié le l7 mars 2017 sur une semblable termitière par Thomas Galewski ; il faut lire ICI pour apprendre qu'à la vérité il y en avait au moins onze (11) - six adultes et cinq juvéniles tout juste volant*3
Pays voisins (Guinée-Bissau, Mauritanie, Guinée) -
  • Un (1) individu est photographié le 14 février 2013 par Joao L. Guilherme, dans un champ récemment brûlé près de Lugajolé, région de Gabu-Boé (Guinée-Bissau)
  • Un (1) individu est photographié le 25 février 2018 par Robert Tovey, sur les bords d'une sebkha asséchée aux portes nord de Nouakchott (Mauritanie).
  • Deux (2) individus sont contactés le 18 décembre 2022 par Paul Lenrumé, sur le plateau de Siguiri, Fouta Djalon (Guinée)
*Fernandez-Garcia, J.M. et al. (2015), First breeding record of Heuglin's Wheatear Oenanthe heuglini for Senegal, in The Bulletin of the African Bird Club (ABC), Volume 22 n°2, p. 214-15
*Blanc, J-F. ; Blanc, V. ; Schmale ; K., Thibault, M. (2018), Noteworthy records from Senegal, including the first Freckled Nightjar Caprimulgus tristigma, in The Bulletin of the African Bird Club (ABC), Volume 25 n°1, p. 58-61 

Nota : avec le Pipit à long bec (Anthus similis ssp. asbenaicus) et l'Alouette du Kordofan (Mirafra cordofanica)*, le Traquet de Heuglin (Oenanthe heuglini) est assurément l'une des petites improbabilités africaines auxquelles l'aventureux ornitho' avide de coches n'ose même pas penser, dans sa quête des oiseaux rares de notre septentrion sahélien. Si rares qu'à la vérité elles n'y résident pas et n'y font, n'y feraient, que d'accidentelles intrusions, en provenance des pays de la bande sahélo-soudanienne à l'orient du Sénégal pour le premier; des confins sahariens limitrophes (Mauritanie notamment) pour la seconde. Origines maliennes et voisinage pour le traquet, qui pourrait aussi remonter du Fouta Djalon jusque loin sur les marges sahariennes. Jusqu'à sa 'découverte' comme nicheur du plateau de Dandé, en territoire sénégalais.

* On connaît de nos petits camarades qui sont venus expressément à Rosso, depuis le lac Léman ou... Singapour, pour chercher la fameuse alouette. Sur quelques heures. En saison sèche comme en saison humide. Sans la trouver. L'espoir fait voyager ; le voyage nourrit l'espoir.
Lire et voir par ailleurs, de l'Alouette du Kordofan sur les confins sénégalo-mauritaniens : Identification of Kordofan Lark and Status in Senegal, par Simon Cavaillès et Bram Piot in SenegalWildlife 2018 04 9 & ID of Kordofan Lark: a potential Western Palearctic vagrant, par Mohamed Amezian in MaghrebOrnitho 2018 04 18

Ci-dessous :
Traquet de Heuglin - Oenanthe heuglini
Au sud de Kaabong, nord-est de l'Ouganda 2019 07 30 / @ Photo par Frédéric Bacuez



Je ne résiste pas au bonheur de vous livrer cet extrait du portrait fait par Pierre Cabar de l'homme dont le patronyme a été donné au discret traquet : l'allemand Theodor von Heuglin (1824-1876). L'occasion pour moi de dire tout le bien que je pense de cet ouvrage, Etymologie des noms d'oiseaux, ma dernière acquisition ornithologique. Cette mine d'informations fait grand bien, à moi en tout cas qui ne viens pas d'un monde trop souvent hermétique à d'autres 'curiosités' : c'est un livre éminemment de culture. Pour celles et ceux qui voudraient comprendre d'où proviennent les noms dont on affuble nos chères plumes, je le recommande vivement !

" (...) Parmi ses travaux les plus célèbres, on peut citer Ornithologie Nordost-Afrika's (1869-1874) où il décrit et illustre des oiseaux d'Ethiopie, des rives de la mer Rouge et de Somalie. Mais il a aussi publié nombre de cartes, collecté un très riche matériel zoologique et ethnographique. Il fut un des premiers à étudier la faune dans une perspective zoogéographique et a clairement montré que l'animal, les végétaux et le paysage forment une unité biologique ; c'est donc un précurseur de l'étude des écosystèmes. Il est aujourd'hui totalement méconnu, en grande partie parce qu'il n'avait aucun goût pour le sensationnel et l'autopublicité : il ne truffait pas ses récits de voyage de scènes d'attaques par des lions mangeurs d'hommes, par des hordes d'éléphants qui chargent ou des tribus 'hostiles' et cannibales. Il livrait par contre une liste exhaustive des animaux rencontrés, avec leurs noms scientifiques. Bref, c'était un chercheur pas un conteur, un scientifique pas un écrivain voyageur. (...) "
-  Cabar, P. (2022), L'étymologie des noms d'oiseaux, nouvelle édition révisée, augmentée et corrigée, éditions Delachaux & Niestlé, p. 596-597

Références :
- Collar, N. & Christie, D. A. (2019, 2020) Traquet de Heuglin, Birds of the world, The Cornell Lab of Ornithology, Ithaca
- Isenmann, P., et al. (2010), Oiseaux de Mauritanie - Birds of Mauritania, Société d'Etudes Ornithologiques de France (SEOF), Muséum National d'Histoire Naturelle, Paris, p. 283
- Borrow, N. ; Demey, R., (2014), Birds of Western Africa - Second edition, Helm Field Guides, Christopher Helm edition, Londres, p. 372-73
- Fanshawe, J. ; Stevenson, T. et al. (2002), Birds of East Africa, Helm Field Guides, Christopher Helm edition, Londres, p. 346-47
- Fanshawe, J. ; Redman, N. ; Stevenson, T. et al. (2009, 2011) Birds of the Horn of Africa - Revised and expanded edition, Helm Field Guides, Christopher Helm edition, Londres, p. 310-11
- Sinclair, I. ; Ryan, P. et al. (2003), A comprehensive illustrated field guide Birds of Africa south of the Sahara, Struik Publishers, Cape Town, p. 470-71

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