29, la plus 'laide' route du monde *


* "La plus belle route du monde commence après un virage et une grande descente des collines vers l'océan : dix kilomètres de route qui longent la côte à égale distance entre le rivage et le haut des collines. On roule jusqu'au bout, où la route s'éloigne à nouveau de la côte, et on revient, en regardant défiler les petits champs mélangés aux dunes qui précèdent la mer, puis on s'arrête à proximité d'une butte de terre où nous faisons un pique-nique de mandarines, d'avocats au citron, de concombres, de Vache qui rit et de Danone à la vanille. On regarde surtout vers le bas, vers l'océan, mais la colline à laquelle nous tournons le dos est essentielle, on la ressent comme le contrepoids du paysage auquel nous faisons face. Souvent les routes traversent le paysage en le découpant. Ici, la route tient le paysage, elle est posée sur la ligne merveilleuse où les forces s'équilibrent. Le regard est guidé en pente douce par les lignes de pierres qui bordent les champs tout en longueur, alternant avec les dunes et les bosquets d'arbustes, sur un kilomètre, jusqu'à l'eau bleue."
- Antonin Potoski
in La plus belle route du monde, page 45, Editions P.O.L, Paris, 2000


* Route circulaire du lac de Khor, Saint-Louis-du-Sénégal -

Tous les usagers du monde l'auront vite deviné : Antonin parle, évidemment, de la route marocaine qui relie Essaouira à Agadir, entre Atlas et Atlantique. Il aurait pu tout autant parler des vertigineuses chérifiennes du Tizi n'Test et du Tizi n'Tichka, des petites routes qui serpentent dans les vertes collines du Prérif, celle qui contemple le paysage d'Ito, celle qui sans en avoir l'air monte vers les cédraies et les neiges d'Ifrane, celle qui mène aux abandons sahariens par le ruban palmé de l'oued Draa, et tant d'autres veines bleues du pays magique.

An "african disaster"... *1

Antonin ne parle pas, bien sûr, de notre rocade saint-louisienne sur digue panoramique, et son coulis de goudron épais comme un bulletin de vote. D'un coté, les immondices au milieu desquels émergent des carrés de briques plus ou moins inachevées, de l'autre l'offrande des plastiques aux vents de sable de la saison sèche, aux quelques pluies diluviennes de la mousson qui emportent et tapissent les fonds du marigot qui meurt, asphyxié. Au milieu, un bitume à la gloire de leur Développement, couru par trois dizaines de véhicules par jour, celles des importuns comme eux et nous, les coopératifs du "donner et du recevoir", hi hi.... Des chèvres, des vagabonds, quelques piétons pendus à leur téléphone portable, un improbable cravaté endimanché, quelques hommes en bleu de travail, et plein d''élèves coraniques' en haillons (cf. photo en bas) qui retournent les amas pour quelques vieux métaux dont l'argent de la vente reviendra derechef à leur grand maître. Comme Antonin sans doute, et mon ami Laurent du Sri Lanka, je ne peux m'empêcher de comparer leurs talibés aux moinillons safran de l'Asie. 

"Carnage"... *2

Ah oui, j'oubliais : la frénésie du développement routier bat son plein, c'est bientôt la grande foire plébiscitaire... La grand'route vers Rosso et son légendaire passage frontalier est en chantier: on a peine à imaginer qu'il s'agit là seulement de la refonte de la nationale tant l'abracabradantesque charivari de l'ouvrage donne à croire qu'il s'agit de la construction d'une autoroute américaine ! Traversée par les petits ruminants qui signent de leurs sabots le goudron chaud, et les petites filles chargées de sceaux d'eau puisée au marigot le plus proche, de l'autre coté du progrès émergent, et les petits garçons en coupe coupe chargés du bois des arbustes arrachés de part et d'autre du grand bond en avant. Même chose pour la toute petite voie qui quitte la nationale pour l'aéroport, pourtant fermé faute de touristes, et Bango, une dizaine de voitures, celles des toubabs, celle de l'imam - qui n'est pas du Caire... : on arrache les vieux nîîms et même de vénérables manguiers pour élargir la seule rectiligne ombragée de tout le nord sénégalais ! Les mauvaises langues susurrent qu'il s'agit surtout de dégager le paysage pour une reconquête périlleuse des coeurs et des voix; les premières enveloppes éclaireuses de consciences circulent déjà; déjà aussi, une colonne avant-gardiste de 4x4 en warnings est venue visiter le poste de santé, vous savez, celui qui jette ses vieux médocs aux eaux deltaïques...

Pendant ce temps-là, les altermondialistes (et les alternatifs de Martine de Lille-premier-partenaire-de-Saint-Louis-du-Sénégal, hi hi je m'étrangle...) défilent loin du cloaque sans nom du vrai Dakar. Ils protestent, avec plein de pancartes et pointent du doigt ces salauds du Nord qui ne veulent pas acheter la cacahuète sénégalaise à son juste prix. Et s'en prennent à ces émergés qui font main basse (pour le prix de quelques peanuts, en effet) sur des milliers d'hectares des terres panafricaines. Au fait, c'est qui qui leur vend, j'aimerais bien savoir... Pas vu, sur les banderoles d'"un autre monde possible". Ceux-là auraient-ils aussi des oeillères et l'indignation idéologique très pragmatique ? Ne me dites pas qu'on leur a offert le billet d'avion pour venir s'époumoner au Sénégal contre les Occidentaux !? Vive les oiseaux !

* Cri du coeur multirécidiviste de John Wright lors de son périple gambien et sénégalais
* Prononcer en anglais, pour un constat définitif fait par Tim Mackrill sur des priorités africaines qui nous paraissent modestement bien peu prioritaires...

Les oiseaux des immondices :
  • Pélican blanc (pelecanus onocrotalus, great white pelican), dizaines (et parfois centaines !)  d'ind. stationnent au fond du lac de Khor encore en eau / 
  • Gardebœuf d'Afrique (Héron garde-bœuf, bubulcus i. ibis, western cattle egret), dizaines d'ind. (cf. photos) / 
  • Milan d'Afrique (à bec jaune, milvus parasitus, yellow-billed kite), quelques ind. / 
  • Mouette à tête grise (larus cirrocephalusgrey-headed gull) / 
  • Goéland brun (larus fuscus, lesser black-backed gull) / 
  • Bergeronnette grise (motacilla alba, white wagtail), assez nombreux ind. /

Marigot de Khor
2011 01 29 et 31 / © Photos par Frédéric Bacuez

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