Aparté: Giraudeau, connaît pas; Loti, ne reconnaît plus...
* Ndar / Saint-Louis-du-Sénégal -
- Le cancer a finalement emporté l'acteur et cinéaste Bernard Giraudeau, samedi aux aurores. Dans les films ayant Saint-Louis comme décor, qui se comptent sur les doigts d'une main, l'artiste français avait, ici, situé et - en partie - réalisé une oeuvre remarquée, Les caprices d'un fleuve (1996). Dans le parc national de la Langue de Barbarie, les restes d'un pan de mur élevé pour le tournage perdurent, en surplomb du fleuve dans les vents de sable: on lui a même donné le nom de Fort Giraudoux (sic, cf. carte du PNLB - toujours ces trucs flagorneurs à la fois pompeux et rustiques si chers au Sénégal !) ! Eh bien, voilà une disparition dont tout le monde se fiche, ici: de la part des Sénégalais, cela ne me gène pas (je n'ai strictement aucune illusion sur l'universalité post-senghorienne de mes hôtes), mais le silence assourdissant des toubabs locaux, si prompts à s'amouracher d'un champ de ruines et de leur prétendue spiritualité mystique, c'est... en fin de compte guère plus étonnant: que dire en effet de sensé quand la cité délabrée est appelée, sans rire, 'Venise du désert' et que sa plage informe et dégueulasse devient "célèbre" on ne sait par quelle magie divine, comme s'il s'agissait, y compris culturellement, d'Ipanema ou Copacobana ?!
- Je vois sur le site web de la Mairie (http://www.villedesaintlouis.com/) que la rue Pierre Loti a été débaptisée pour honorer, désormais, l'illustre nom probablement sanctifié d'un honnête homme qui doit bien le mériter, je suis prêt à en convenir, mais dont je ne trouve trace dans aucun document accessible; sans doute une référence pour initiés. Il est bien dommage cependant de jeter aux oubliettes de l'Histoire le nom d'un écrivain, même étranger, certes connoté 'orientaliste et colonial', qui a séjourné dans une cité dont certains ne cessent de fantasmer sa multiplicité culturelle et son mille-feuilles historique ? Les temps sont, il est vrai, à la morale et autres puretés qui cachent bien de pervers desseins. Mais dans ce néant culturel qu'est la ville de Ndar, on peut regretter l'effacement des traces d'un passage d'abord littéraire (Le roman d'un spahi, 1881) dont les évocations et descriptions d'une cité et de sa région n'ont, pour l'heure, aucun égal. Pour le reste, la loupe 'vigilante' de ce siècle inculte - et, pire, fier de l'être - sur les dires et regards des Hommes de jadis, des Hommes de leur temps, me laissent bien pensif, et tout sourire. J'ose encore croire que le jugement des rescapés de notre époque apocalyptique sur mes contemporains parangons de vertu sera autrement plus définitif .
" Cet isolement de la mer est pour ce pays une grande cause de stagnation et de tristesse; Saint-Louis ne peut servir de point de relâche aux paquebots ni aux navires marchands qui descendent dans l'autre hémisphère. On y vient quand on est forcé d'y venir; mais jamais personne n'y passe, et il semble qu'on s'y sente prisonnier, et absolument séparé du reste du monde. " (Le roman d'un spahi, page 47)
C'était en 1880... Déjà...
Mais pour ce blog, je signale que les descriptions naturalistes chez le Loti saint-louisien sont du meilleur goût, et peu erronées - ce qui était rare, à l'époque, ce qui l'est toujours d'ailleurs chez les écrivains 'tropicalistes' lorsqu'ils s'aventurent à décrire flore et faune du cru. Il est vrai qu'on attend toujours avec grande impatience des évocations sénégalaises (et africaines) de dame nature aussi dignes des Bosco, Giono, Genevoix, ou Sepulveda, ou des Japonais, ou des Caribéens -je le dis au cas où on 'bien' penserait en m'accusant de faire de la discrimination épidermique - pouah...... Hélas pour cette partie du continent absolument déconnectée de son environnement... Une question: a-t-on vu civilisation s'épanouir sans rien connaître de son environnement ? Même pour identifier la toponymie du delta sénégalais il faudrait embaucher les plus fins limiers de la CIA ? Quant aux noms (en wolof, par exemple), des insectes, des plantes, des fleurs, des oiseaux, on reste sans voix devant tant d'obscurités. Comment est-ce possible de vivre sans terroir, juste en des lieux sur lesquels on prélève "jusqu'à fatigué" comme on dit 'ailleurs' ? Quelle tristesse...
Sur le début de la mousson - juin, en ce temps-là...:
" C'était bien un printemps - mais un printemps de là-bas, rapide, enfiévré, avec des odeurs énervantes, des lourdeurs d'orage.
C'était le retour des papillons, des oiseaux, de la vie; les colibris* avaient quitté leur robe grise pour reprendre leurs couleurs éclatantes de l'été. Tout verdissait comme par enchantement; un peu d'ombre tiède et molle descendait maintenant des arbres feuillus sur le sol humide; les mimosas, fleuris à profusion, ressemblaient à d'énormes bouquets, à de grosses houppes roses ou orangées, dans lesquelles les colibris chantaient de toute petite voix douce, pareille à la voix des hirondelles qui jaseraient en sourdine; les lourds baobabs eux-mêmes avaient revêtu pour quelques jours un frais feuillage, d'un vert pâle et tendre... Dans la campagne, le sol s'était couvert de fleurs singulières, de graminées folles, de daturas aux larges calices odorants; et les ondées qui tombaient sur tout cela étaient chaudes et parfumées et, le soir, sur les hauts herbages nés de la veille dansaient en rond les lucioles éphémères, semblables à des étincelles de phosphore...
Et la nature s'était tant hâtée d'enfanter tout cela, qu'en huit jours elle avait tout donné. " (Le roman d'un spahi, pages 106-107)
* Il s'agit en fait de souïmangas, un genre africain de colibri (sud-américain)
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MERCI Frédéric, tu l'écrivais et moi je me l'encriais dans la tête,les toubobos d'ici sont identiques, je te salue en frère si tu permets,thibault
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