Ndiaël : deux Spatules blanches baguées de la jeune colonie camarguaise



Le 22 janvier dernier dans la Réserve spéciale d'avifaune du Ndiaël (RSAN), Gabriel Caucal et moi dénombrons limicoles, ardéidés et cigognes (ainsi que les gangas) présents sur Boppu Taré, une des mares de la Grande Cuvette du sanctuaire hélas précocement en cours d'assèchement. A l'évidence les tentatives de ré-alimentation de cette gigantesque dépression quasiment à sec depuis plus de trente ans ne fonctionnent pas - la faute aux grandes sécheresses et surtout à une agriculture écocidaire qui en détourne les eaux nourricières à l'amont du Nyeti Yone, le marigot censé faire revivre cette cuvette jadis havre pour des dizaines de milliers d'oiseaux ; jadis. 

Clin d'oeil dédicace à François Marmeys ex stagiaire es Spatules au PNOD et depuis retiré du monde bruyant des Hommes, il fait bien...
Précédemment sur Ornithondar :
6 mai-14 juin: la Spatule blanche du Khant était bien une Camarguaise, 2017 06 14

* De la Grande Camargue à la Réserve spéciale d'avifaune du Ndiaël (RSAN) -

Vingt-cinq (25) Spatules blanches d'Eurasie (Platalea leucorodia leucorodia) stationnent au débouché d'un petit bras d'eau qui filtre de la roselière. En compagnie d'Aigrettes et de quatre (4) Cigognes noires (Ciconia nigra). Avant qu'une femelle de Busard des roseaux (Circus a. aeruginosus) ne vienne semer la zizanie puis déclencher l'envol des premières (cf. photos en bas de notule) et de quelques autres. Derrière l'oeilleton de la longue-vue, Gabriel a eu le temps de repérer deux (2) Spatules blanches avec bague PVC au tibia et de me faire rapporter sur mon calepin leurs inscriptions, exclusivement alpha : FAHP et FAAH, des sujets juvéniles (sur place, nous pensions qu'il s'agissait d'un 2e AC, tout bon, et d'un adulte, tout faux, ndlr.) "qui ont été bagués au printemps 2019" en Grande Camargue près des Saintes-Maries-de-la-Mer (Bouches-du-Rhône, France), précise Carole Leray, de l'Institut de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes. Via CR-birding j'avais rapidement compris que nos oiseaux étaient passés entre les mains de nos contacts à la Tour de Valat avec lesquels Ornithondar avait déjà correspondu en juin 2017 (voir ICI). Aujourd'hui Gabi et moi avons réalisé "les premiers contrôles (de ces deux spatules baguées) en dehors de la colonie" camarguaise. Ci-après la suite de leur bref 'historique de vie'... 


En haut de notule : 
Une Spatule blanche baguée de Grande Camargue (à g.) en compagnie d'ardéidés et de Cigognes noires
Boppu Taré, Ndiaël (RSAN) 2020 01 22, 9h39 / @ Photo par Frédéric Bacuez, avec Gabriel Caucal
Ci-dessous :
historique de vie de FAAH & FAHP
Courtesy Carole Leray et Jocelyn Champagnon
Tour de Valat, Institut de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes, Le Sambuc (France)

Nota : en Afrique, la Mauritanie et le Sénégal (Banc d'Arguin; bas-delta du fleuve Sénégal, péninsule dakaroise, dans une moindre mesure Petite Côte et Sine Saloum) sont les deux hotspots pour l'hivernage des Spatules blanches d'Europe occidentale Platalea leucorodia leucorodia. Le bas-delta sénégalais a longtemps accueilli 30 à 40% des effectifs de l'Ouest paléarctique. Les Spatules qui hivernent au pays de la Teranga - et y estivent, pour les plus jeunes- proviennent des colonies reproductrices de l'Espagne et des pays riverains de la Mer du Nord, très majoritairement néerlandaises mais aussi depuis peu allemandes, danoises, peut-être anglaises, ainsi que françaises à partir des années '80. Au début de ce XXIe siècle, des Spatules issues du bassin méditerranéen sont identifiées sous nos latitudes grace à leurs bagues. De celles-là, des oiseaux venus de Grande Camargue, précisément de l'étang des Impériaux sur lequel ont été aménagés des îlots/radeaux qui semblent faire le bonheur de nos échassiers en mal de (sites de) nidification : deux premiers couples (2 cc) reproducteurs en 1998; deux-cent quatre-vingt neuf couples (289 cc) en 2017 !*2&3 Un certain nombre de leurs poussins y sont bagués depuis 2008; permettant de constater que les Spatules camarguaises optent comme leurs congénères atlantiques pour la voie migratrice la plus occidentale (à quelques exceptions près) et pour un stationnement hivernal et géographique aussi flexible qu'elles, allant des Pays-Bas à la Guinée Bissau !*2 Car nombre de Spatules blanches hivernent en Europe (en France depuis la fin des années '80, y compris la Camargue !) et cette tendance semble très fortement se renforcer, surtout chez les adultes - hivers plus doux, qualité des sites d'accueil, protection efficiente. Les oiseaux qui franchissent (encore) le Sahara à la descente gagneront les 15°N à 10°N, quelques mois pour les adultes, trois à cinq années pour les juvéniles. Malgré les mythes et les croyances qui ont la vie dure, l'existence des Spatules (et autres oiseaux hivernants) est loin d'être une sinécure sous les tropiques. La mortalité y est forte, et bien que les études manquent encore pour la chiffrer, il suffit d'observer au Sénégal l'invraisemblable nombre de Spatules blessées aux pattes pour s'en convaincre. Des grands oiseaux trouvés morts par l'Ornithondar, c'est de loin la Spatule eurasienne qui vient en tête de mon décompte macabre. Dégradation des vasières alimentaires et des reposoirs, pollutions solides dévastatrices pour les pattes, pression anthropique anarchique et sautes d'humeur climatiques (renforcement des vents et des tempêtes de sable, creusement des amplitudes thermiques, hausse des températures les plus chaudes, intensification aussi de leur fréquence et durée, assèchement précoce des points d'eau), autant de chambardements qui vont rendre l'hivernage forcément aléatoire et la migration redoutable. Il semblerait que c'est à la remontée (février à fin mai) que les Spatules, migratrices diurnes, connaissent le plus de déperditions*1 - comme tous les oiseaux paléarctiques ayant passé l'hiver sous les tropiques africains : le biome soudano-sahélien est au pic de la saison sèche, et très chaude dès le 15 mars; le Sahara, singulièrement dans sa moitié sud, va bientôt se transformer en four. Dur dur, le retour au bercail...

Quelques documents fort intéressants :
par Tamar Lok, Otto Overdijk, Theunis Piersma
in Biology Letters 11, 2014 12
par Thomas Blanchon, Jocelyn Champagnon, Yves Kayzer, Lina Lopez-Ricaurte, Paul Isenmann
in Alauda 85, société d'études ornithologiques de France, 2017, pp. 231-233 hal 01812560
Institut de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes, Tour du Valat (Camargue, France)

Ci-dessous :
à g., l'envol des Spatules blanches (dont les baguées) apeurées par l'irruption d'un Busard des roseaux
à d., sur la partie déjà asséchée du lagon, Gabi au comptage...
en bas, vol passant de Spatules blanches d'Europe - Platalea leucorodia leucorodia
Boppu Taré, Ndiaël (RSAN) 2020 01 22, 9h55,12h19 & 8h48 / @ Photos par Frédéric Bacuez, avec Gabriel Caucal
- Cliquer sur les photos pour agrandir -

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