31, mousson 2014 : pas un millimètre d'eau, des Niayes à l'Aftout es Saheli !

Au 2008 07 30, la mousson avait déjà donné près de 90 mm de pluie sur le bas-delta ndar ndar ! /
Depuis le belvédère de mon ancien pied-à-terre bangotin (15h30) / © Photo par Frédéric Bacuez

* Delta du fleuve Sénégal -

Inactivité persistante de l'hivernage 2014 sur la façade atlantique de l'Afrique occidentale, de la Mauritanie aux confins de la Sierra Leone... Si la remontée du Front Inter Tropical (FIT, ou Front de convergence intertropicale) a bien fonctionné, somme toute, atteignant le nord sahélien en juillet, en revanche les flux de mousson ont un mal fou à déporter leurs amas pluvieux vers le Couchant. Comme si un mur invisible les empêchait de venir arroser les plaines littorales de la Guinée-Bissau, de la Gambie, du Sénégal et de la Mauritanie - sans oublier, au large, les îles assoiffées du Cap-Vert... Le déluge précoce tombé sur le Guidimakha mauritanien et le Damga sénégalais en début de mois, puis les tumultes au-dessus du Gourma malien qui ont (en partie) entraîné la catastrophe aérienne du 24 juillet n'y changent rien. Partout l'hivernage a connu un démarrage tardif, et brutal - après être resté plus que de coutume sur les pays du Golfe de Guinée, en témoignent les inondations et glissements de terrain qui ont endeuillé la métropole ivoirienne d'Abidjan, en juin.

El Nino ne serait pas câlin avec la mousson ouest-africaine, mouais... 

Faux espoirs aux tout premiers jours de juillet, à Ndar: brusque hausse de la moiteur, retrait des alizés océaniques, zébrures dans le ciel nocturne du delta; tous ces prémices habituels pour quelques gouttes éparses, ces fameuses 'traces' qui font l'essentiel des relevés pluviométriques sous nos latitudes... excentrées, en particulier à Ndar. Un mois plus tard, le constat est sans nuances: le Ramadan au régime sec, pas d'averse pour rafraîchir les nerfs mis à rude épreuve... De la péninsule du cap Vert aux sebkas de l'Aftout en passant par les Niayes de la Grande Côte et les dunes mortes du Ndiambour, rien, pas un millimètre d'eau ! Du Gandiolais au lac de Guier en passant par les Trois-Marigots, le Ndiaël et le Djoudj, le bas-delta se rétracte sur les marées et sur l'écoulement du fleuve. Le phénomène climatique El Nino (changement des températures océaniques de surface, modification des courants marins, bouleversement des flux pluvieux), qui surgit de l'océan Pacifique à intervalles réguliers, serait la cause de nos difficultés météorologiques sur l'Atlantique oriental. Il y a juste un hic: El Nino n'en est qu'à ses débuts, pour cette session, et ne prendra réellement son ampleur qu'en début d'année 2015; d'autre part, en l'état actuel des connaissances (très partielles) sur le phénomène, El Nino n'affecterait l'Afrique occidentale qu'à la marge (à la différence de l'Afrique australe et orientale). On restera ici suspendu à ces conjectures - et à une hypothétique mansuétude céleste.

Une mousson toujours plus chaotique 

Dans le bas-delta du fleuve Sénégal ce ne sera pas la première ni la dernière fois que juillet finira à sec ! En 2007, il avait fallu attendre le 29 du mois pour qu'un grain précédé d'un impressionnant rideau de sables orangés - qu'on appelle en arabe haboob- déverse son premier sceau sur la cité deltaïque. Au 31 juillet 2008 par contre, Saint-Louis et ses environs avaient (déjà) recueilli 89,1 mm - 5,4 mm en juin; 83,7 mm en juillet. En bout de course, pourtant, 2007 avait fini avec 324 mm et 2008 avec 302,6 mm. Comme quoi... Rien n'est jamais perdu pour l'agriculture sahélienne, jusqu'au 10 août (et jusqu'au 20-25 juillet en zone des savanes). Si l'on se réfère aux moyennes pluviométriques* de Saint-Louis, sa norme au 31 juillet est de 44 mm d'eaux - trois pluies, en général: son relevé était de 30,4 mm (cumul 34,1 mm) au dernier jour de juillet 2009 - soit 78% de sa moyenne; et de 101,0 mm en 2010 - soit 230% de cette même norme... Dans le Ferlo, et plus généralement dans le Sahel septentrional, la situation est souvent encore plus imprévisible: on le voit cette année avec les deux inondations qui ont frappé Sélibaly (Mauritanie, 9 et 30 juillet) en ce singulier mois d'hivernage - dont 65 mm hier, lire ICI sur CRIDEM ! Ou, à quelque cent kilomètres au sud des zones affectées par le déluge, la poche de sécheresse absolue qui persiste sur le Ferlo méridional, autour de Ranerou. Dans ce même Ferlo steppique, Linguere, l'autre 'grande' ville de ce royaume d'un intense élevage extensif se souvient peut-être de ses 140,6 mm reçus en une seule averse, ce 30 juillet... 2009 !? Un seul constat, in fine: si au 31 juillet 2010 les stations météorologiques du Sahel sénégalais pulvérisaient leurs moyennes pluviométriques (134% pour Louga à 263% pour Podor), elles sont à la même date toutes largement déficitaires cette année, hormis Matam. Les crapauds jaspés (crapaud panthérin, amiethophrynus/bufo regularis, african toad) s'égosillent pourtant à s'en rompre les cordes vocales...

[In fine: première pluie d'une dizaine de minutes, le 6 août, précédée d'un spectaculaire rideau de sables et de vent plus violent que d'habitude, ndlr. 2014 08 6]

* Saint-Louis-du-Sénégal/Ndar, 262 mm / Podor, 220 mm / Nouakchott, 159 mm / Atar, 65 mm / Nouadhibou, 43 mm
En ce qui concerne les capitales sahéliennes, par ordre croissant des moyennes pluviométriques: 
Dakar (Sénégal), 395 mm / N'Djaména (Tchad), 510 mm / Niamey (Niger), 545 mm / Ouagadougou (Burkina Faso), 790 mm / Bamako (Mali), 945 mm  
[à titre de comparaison: Paris (France), 637 mm / Cayenne (Guyane), 2815,8 mm]

En lien, quelques notules d'Ornithondar:
Mousson 2008: cumul des pluies de juillet, 2008 07 31
Mousson 2009: cumul des pluies de juillet, 2009 07 31
Cette fois, c'est bel et bien "l'hivernage" !, 2010 07 17
Mousson 2010: juillet, tout en contrastes, 2010 07 31
Des pluies (presque) record sur le Sénégal, 2012 08 31

Ci-contre: de toutes les pluies, en langue wolof... (Lire ICI sur IRD)

Ci-contre : situation pluviométrique sénégalaise au 29 juillet 2014 / @ Cartographie ANACIM

Après des années d'une existence aussi souffreteuse que la mousson, la Météorologie nationale du Sénégal a rendu les armes... Il faut dire qu'elle peinait à mettre en ligne ses données pluviométriques - un informaticien basique et six mois de job à raison de dix minutes par jour ! Et si le Ramadan croisait l'un des trois mois de l'hivernage, pchitt, plus de relevé des pluies: un mois de préparatifs pour le rituel sacré, un mois de vacance, un mois de remise sur pied - spécialité du Sénégal où on adooooore les plaisirs qui durent... Le 'service public' a donc été digéré par l'Agence nationale de l'aviation civile (ANACIM)... A nouveau statut nouveau site web, chic, on se frotte les mains, on va pouvoir en savoir plus sur le temps - ses prévisions, les pluies venues les pluies à venir, et s'organiser en conséquence pour choisir sa semence céréalière en fonction de son cycle, plus ou moins court... Bref, entrer dans la modernité, l'émergence concrète, le sérieux - la science, aussi-, puis rendre grâce au rigoureux travail répétitif et anonyme du relevé pluviométrique (quasi) quotidien... Un peu de discipline, quoi ! Hélas... Nulle 'trace' d'un tableau des pluies... Juste le mot du big boss, cela va de soi, c'est toujours utile; 'cadre institutionnel', 'réglementations', bref que des trucs passionnants et usuels sur les sites web de la (sous-)région: plateformes redondantes, vides d'information(s), vite essoufflées puis bloquées sur le mot de bienvenue et le premier jour de leur création. Ou sur un graphique (trop) rapidement daté ! 

Suivre l'évolution de la végétation et du tapis herbacé au fur et à mesure de la 'saison':
Centre de Suivi Ecologique du Sénégal - CSE

Supplément kilométrique pour les premiers oiseaux migrateurs du Paléarctique

Avec l'arrivée retardée des pluies sur les bordures atlantiques du Sahara et dans le nord du Sahel, les oiseaux migrateurs n'ont pour la plupart d'autre alternative que de continuer leur route plus loin vers le sud qu'ils ne l'avaient peut-être prévu. En réalité il ne s'agit pas tant de problèmes d'eau - il en reste suffisamment autour du fleuve et de ses affluents !- que de misère alimentaire: pas de pluie, pas d'éclosions d'insectes... et donc pas de nourriture ! Aux milliers de kilomètres déjà parcourus (6000 à 12 000 kilomètres pour certains !) il faut rajouter quelques centaines de kilomètres pour aborder des régions plus hospitalières... En cette fin juillet 2014, nos migrateurs insectivores devront parcourir 300 à 500 kilomètres supplémentaires pour pouvoir se nourrir dans des conditions satisfaisantes.

La plupart de nos contemporains ne le savent pas : on rappellera ici que dans le nord de l'Europe et sur le cercle arctique les départs pour la migration improprement dite d'automne ont commencé fin juin. Ce sont généralement les mâles qui partent d'abord, une fois leur devoir reproducteur accompli; ils partent surtout pour laisser toutes les opportunités alimentaires, toujours précaires, aux femelles et à leurs oisillons. Les premiers voyageurs survolent déjà les points fixes d'observation du phénomène bi-annuel (Eurasie>Afrique = migration postnuptiale; Afrique>Eurasie = migration prénuptiale) : sur le site du Défilé de l'Ecluse (Haute-Savoie, France), par exemple, le comptage a débuté le 15 juillet (LPO-74 et bénévoles); en ce qui concerne les espèces qui séjourneront bientôt en Afrique subsaharienne (dont le delta sénégalais), on a ainsi dénombré en quinze jours d'observation le passage de 27 058 Martinets noirs et de 7 902 Milans noirs - avec 3 770 ind. pour la seule journée de ce 31 juillet, "un record !", me dit mon ami l'ornithologue Ludwig Lucker qui était sur site-, ainsi que de 19 Cigognes noires (Ciconia nigra, Black stork). Les toutes premières Bondrées apivores (Pernis apivorus, European Honey Buzzard), qui y feront bientôt le gros du comptage, ont été notées les 25 et 31 juillet; elles enjamberont le Maghreb, le Sahara, le Sahel et la ceinture des savanes pour aller hiverner en zone forestière du Golfe de Guinée (Afrique de l'ouest et centrale). Les premiers oiseaux migrateurs du Paléarctique occidental ont déjà survolé terres et mers pour aborder le Sahel et l'Afrique de l'ouest. Les plus symboliques, et les plus visibles (ou les plus bruyants dans le ciel !) d'entre eux sont là, faisant halte ou passant haut dans les nimbes en direction du sud:

  • Autour des 11-14 juillet, les Guifettes noires (Chlydonias n. niger, Black Tern) : ayant traversé l'Europe en biais, du nord-est vers le sud-ouest, elles ont longé les côtes atlantiques depuis le détroit de Gibraltar, et les voilà nombreuses à faire halte à Ndar, comme chaque année à la mi-juillet, de part et d'autre du pont Faidherbe: il y en a de toutes les teintes, des adultes, des immatures et des oiseaux de l'année, virevoltant avec grâce au ras des eaux pour attraper quelque menue proie presque imperceptible à nos yeux. Les troupes de juillet arrivent essentiellement des plaines humides d'Allemagne du nord, de Pologne, du Bélarus, des pays Baltes et surtout d'Ukraine et de Russie. Quand elles passent dans le ciel deltaïque, toujours en groupe, leur vol caractéristique est vite repérable: léger, balancé, et régulièrement entrecoupé de vrilles apparemment chaotiques, comme le ferait une escadrille d'avions avec des leurres.
  • Entre le 18 et le 26 juillet, ce sont d'abord les cris du Courlis corlieu (Numenius p. phaeopus, Whimbrel) qui annoncent la migration postnuptiale des limicoles du Grand nord. Quand ils filent haut dans le ciel toujours plus loin vers le sud, en fin d'après-midi, il faut un peu d'accoutumance pour repérer les premiers passants de la saison tant leurs sifflets stridents font écho dans la moire de fin de journée.  
  • Autour du 25 juillet, le devenu rare Courlis cendré (Numenius arquata ssp., Eurasian Curlew) entre en scène à son tour: après avoir longé le littoral, il ne rechigne pas à faire halte dans le bas-delta après la traversée du désert. Singulièrement il préférera les plaines alluviales encore sèches (obs. pers.) où il débusquera aisément les crabes dont il se délecte pour reprendre des forces.
  • Chez les autres limicoles, le plus précoce est le petit Chevalier guignette (Actitis hypoleucos, Common Sandpiper) dont les premiers hivernants reviennent entre le 11 et le 21 juillet sur leurs sites deltaïques respectifs  - ils sont très patrimoniaux ! Le Grand gravelot (Charadrius hiaticula, Common Ringed Plover) et surtout le Chevalier sylvain (Tringa glareola, Wood Sandpiper) lui emboîtent très vite le pas et fournissent les premiers gros bataillons de limicoles à s'installer dans le bas-delta (avec les corlieux). Certaines années, les Chevaliers culblanc (Tringa ochropus, Green Sandpiper) ne sont pas en reste: il semblerait néanmoins que ceux-ci n'adoptent le delta au sortir du Sahara qu'à la condition que les innombrables trous d'eau de la plaine alluviale soient déjà remplis par les pluies (obs. pers.) - c'est donc raté pour les premiers culblancs, ceux qui arrivent des lointains péri-arctiques... Pour le reste des limicoles, dans la dernière semaine de juillet les Barges à queue noire (Limosa limosa, Black-tailed Godwit), les Combattants variés (Philomachus pugnax, Ruff) et surtout les troupes furtives de bécasseaux sp. (calidris sp.) défilent dans le ciel deltaïque mais continuent encore leur route migratoire vers l'autre delta du pays, le Sine Saloum.
  • A partir du 29 juillet, les Martinets noirs (Apus apus, Common Swift) apparaissent quasi quotidiennement dans le ciel deltaïque. Il est probable que les premiers groupes du chasseur d'insectes ailés arrivent plus tôt en Afrique de l'ouest; mais ils stationnent très haut en altitude, guettant les premiers orages de saison à des centaines de kilomètres à la ronde avant de descendre et se régaler des insectes que les turbulences réveillent !
  • Quant aux Milans noirs (Milvus migrans migrans, Black Kite), s'ils sont en Europe les premiers rapaces à se regrouper (dans la première quinzaine de juillet en Haute-Savoie, obs. pers.) pour entamer leur migration postnuptiale, toujours en bandes, leur arrivée sur les marges méridionales du Sahara n'est pas aisée à dater avec précision tant nos rapaces 'européens' ressemblent à leurs cousins 'afrotropicaux' (Milvus parasitus). Une certitude: ils sont les premiers rapaces paléarctiques à franchir la frontière: avec un visa de longue durée, à entrées et sorties multiples - tant ces visiteurs ont cette chance de pouvoir changer de pays au gré de leurs pérégrinations hivernales... sans tracas administratifs ni bakchichs !

En lien, lire sur Ornithondar :
Eh oui ! Les premiers migrateurs postnuptiaux sont de retour, 2013 07 9

Ci-dessous : 
coup de vent et gouttes de pluie sur le marigot de Djeuss, Bango, delta du fleuve Sénégal 
2008 07 29 / © Photo par Frédéric Bacuez

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