3e mention (documentée) d'une Buse d'Afrique dans la moitié nord du pays
Résumé : au seuil de la réserve sylvo-pastorale des Six Forages, dans le Ferlo profond. Vision lointaine, gênée par la poussière d'harmattan en suspension, d'un rapace clair de type Accipitridae, bien trop petit pour être un circaète associé à ces vastes espaces. Malgré l'âge de l'oiseau (1er hiver probable), son identification via la documentation photo est a posteriori plutôt facile : il s'agit typiquement d'une Buse d'Afrique (Buteo auguralis), très rarement contactée dans notre Sahel. 3e donnée historique des 5 mentions du septentrion sénégalais - dont deux postérieures à mon observation personnelle.
* Ferlo, vers les forages de Bombodé et de Mbidi -
3 décembre 2015. En véhicule 4 x 4, avec A. & D. M.
Météo : harmattan, ciel a priori bleu mais largement empoussiéré. Températures : 23-34°.
De ma liste eBird : https://ebird.org/checklist/S76935454
Voir : Petits zoazos du Ferlo, du Kooya au nord-est des Six Forages, in Ornithondar 2015 12 3
Ci-contre : Buse d'Afrique à la cime d'un arbre porteur de nids coloniaux de l'Alecto à bec blanc Bubalornis albirostris, Ferlo 2015 12 3 / @ F. Bacuez
Circonstances.
Cette observation a été faite à une quarantaine de kilomètres au sud de Ndioum, entre les forages de Bombodé et de Mbidi, dans la partie sablonneuse du vaste Ferlo qu'on appelle ici Kooya. Aux confins de la réserve sylvo-pastorale des Six Forages la bien nommée. Un rapace de forme plutôt "compacte", de taille moyenne, est ostensiblement perché en haut d'un arbre nu sur lequel s'étale un amas de nids coloniaux de l'Alecto à bec blanc (Bubalornis albirostris), inoccupés en cette saison. Le ciel est à l'harmattan, les horizons nimbés de particules sableuses en suspension ; la vision n'est pas aisée d'autant que l'oiseau repéré dans les jumelles est assez loin, le profil de buse assez caractéristique néanmoins. Le rapace passe de cime en cime d'arbre, l'oeil rivé sous lui ; à l'évidence il chasse. A peine houspillé par quelques Choucadors à ventre roux (Lamprotornis pulcher) et un Pigeon roussard (Columba guinea) qui doivent utiliser les nids d'alectos comme dortoir ou nichoir. La zone possède quelques boisements plus fournis que dans toute la partie qu'on traverse depuis Ndioum jusqu'à Bombodé, avec quelques arbres élevés ; il y a même des bosquets arbustifs et buissonneux rassemblés autour de vénérables Baobabs africains (Adansonia digitata) encore en feuilles. Occupés que nous sommes par des scènes ô combien 'bibliques' associant bétail pléthorique et bergers 'pittoresques', les toubabs ne prêtent pas d'attention particulière au rapace - un circaète sans doute. Je fais quelques photos, histoire de... et tout cela reste rangé au placard des oubliettes Lightroom. En veille profonde de dix années (sic). C'est d'ailleurs en recherchant des photographies de ces scènes humaines et paysagères pour un projet en cours dont on vous reparlera bientôt que je repère l'oiseau-souvenir de ce 3 décembre 2015... Malgré l'exécrable qualité des images archivées, le doute n'est guère permis, c'est une belle buse, et plusieurs caractéristiques physiques du sujet me font très rapidement écarter la piste d'une Buse féroce (Buteo rufinus ssp. cirtensis) et d'une Buse variable (Buteo buteo ssp. vulpinus comme buteo). Les ressemblances (la couleur rousse de la queue et le rappel taxonomique : augur plus alis, "en relation avec") avec la Buse augure de la sous-espèce nominale, un peu plus grande et fréquentant d'autres habitats, n'ont pas lieu d'interroger, cette espèce répandue en Afrique orientale et australe est absente de l'Afrique de l'ouest. Voici donc au Sénégal ma première Buse d'Afrique (Buteo auguralis). Après quelques recherches, il s'agirait de la 3e mention historique de l'espèce dans la moitié nord du pays (lire ci-après).
Historique et répartition.
Il est écrit que c'est "la buse la plus commune dans une grande partie du Sahel en Afrique septentrionale, occidentale et centrale." Je veux bien, mais il faudrait s'entendre sur l'adjectif 'commun', même si je l'ai parfois contactée au Burkina Faso, "à l'époque" comme on dit là-bas pour évoquer un passé qui ne reviendra pas, et beaucoup moins qu'une Buse variable en France ! Il est vrai que croiser un rapace vivant de l'Afrique sahélo-soudanienne (on pourrait élargir le propos à tout le continent), même de taille moyenne, même quelconque, est devenu une gageure depuis une quarantaine d'années. Heureusement qu'il y a nos rapaces-à-nous pour y passer (encore) l'hiver, les fous... On peut affirmer sans être accusé de négativisme qu'à l'ouest des Mali, Guinée et Sierra Leone cette buse est (devenue ?) une grande rareté, présente à l'année seulement dans la région sud-est du pays qui nous intéresse, le Sénégal - à partir du Niokolo Koba et en très faible densité. Ailleurs dans le pays (et en Gambie), la Buse d'Afrique vagabonde pendant et après la saison humide, vers l'ouest et le nord comme semblent l'indiquer les données recueillies au fil du temps. Il est fort possible qu'à l'instar de ma buse du Ferlo, les aventurières soient de jeunes oiseaux - mais pas systématiquement, voir ci-après les données rapportées- comme c'est souvent le cas de ces pérégrinations jusqu'au seuil saharien chez les oiseaux de l'Afrotropical régional. Ces mouvements, singulièrement ceux de la Buse d'Afrique, ont été peu étudiés, un peu mieux dans l'Afrique occidentale. De nombreuses observations ont été rapportées du Fouta Djalon (Guinée) en janvier 2025 par mon camarade Gabriel Caucal et son équipe. De cette ceinture soudano-guinéenne où elle réside, de préférence sur les lisières forestières, notre Buteo peut remonter de 1 000 kilomètres dans le sillage du Front Inter Tropical (FIT) propagateur de la mousson ouest-africaine (qu'on appelle vulgairement 'hivernage').
Des mentions rapportées au nord du 15°N :
- En Mauritanie sahélienne, cinq mentions compilées par Paul Isenmann et ses collègues*1, de septembre 2001 (4 ind. près de Kiffa), septembre et novembre 2007 - et d'un début mars non daté.
- Dans le nord du Sénégal, les Morel*2 rapportent deux données seulement dans la seconde moitié du XXe siècle, de Richard Toll : un individu collecté en août 1964, un autre contacté en septembre 1971. Puis plus rien jusqu'à cette surprise de début décembre 2015 ! Avant que le 8 octobre 2016 Juan Carlos Albero observe une Buse d'Afrique dans le sud-est du Ferlo (réserve de Katané) ; puis le 16 novembre 2019 Carmelo de Dios et trois autres observateurs notent un adulte probable à l'orient de Richard Toll.
Description et habitudes.
Buteo auguralis est une petite buse africaine monotypique, qui réside depuis l'Afrique de l'ouest jusqu'au Golfe de Guinée et vers l'est jusqu'au Soudan et l'Ethiopie. Une autre population occupe les régions du Cameroun vers le sud jusqu'au nord de la Namibie. Si le dessus de l'oiseau est brun sombre, le dessous est franchement clair et même blanchâtre, moucheté chez les jeunes (voir photos ci-dessous), avec des repères d'identification pratiques : une belle virgule sombre visible de très loin, "black carpal markings continuing as irregular line along coverts"*3. L'adulte a un large collier brun-mauve, des rémiges gris pâle, et cette courte queue bien rousse, nettement moins chez le juvénile, avec une terminaison noire - en anglais, Red-tailed Buzzard auparavant, aujourd'hui Red-necked Buzzard ! "Solitaire et discrète" (Ferguson-Lees, J. et Christie, D. in Guide des rapaces diurnes du monde, p. 226), cette buse est peu exigeante quant à son alimentation, des rongeurs aux batraciens en passant par les serpents, lézards, caméléons, petits oiseaux et crabes. En nombre, ce sont les arthropodes qui font le coeur de sa nourriture, singulièrement les termites ailés et les mantes. Pour chasser, la Buse d'Afrique perche longuement dans les hauteurs des arbres dégarnis ou morts voire sur des poteaux, à découvert et pendant de longues périodes, un comportement classique des Buteo. Elle apprécie chasser sur les brûlis et autres feux de brousse. Pour nicher, l'espèce utilise généralement des arbres de lisière hauts de 10 à 30 mètres. Faute d'arbres, comme pour mes Aigles ravisseurs du Ferlo (lire et voir par ailleurs) elle choisira des pylônes - c'est souvent le cas au Ghana. Heureusement qu'elle ne cherche pas à se reproduire sous nos latitudes sahéliennes...
Ci-dessus et dessous :
Buse d'Afrique de 1er hiver probable.
Ferlo vers le forage de Bombodé 2015 12 3 / Photo @ F. Bacuez
En bas :
distribution de Buteo auguralis / Courtesy @ Birdlife international - BOW 2021, Lynx ed.
Buse d'Afrique de 1er hiver probable.
Ferlo vers le forage de Bombodé 2015 12 3 / Photo @ F. Bacuez
En bas :
distribution de Buteo auguralis / Courtesy @ Birdlife international - BOW 2021, Lynx ed.
Références :
- Kemp, A. C. and G. M. Kirwan (2020). Red-necked Buzzard (Buteo auguralis), version 1.0. In Birds of the World (J. del Hoyo, A. Elliott, J. Sargatal, D. A. Christie, and E. de Juana, Editors). Cornell Lab of Ornithology, Ithaca, NY, USA, https://doi.org/10.2173/bow.renbuz1.01
- Clark, S. William & Davies, Rob in African Raptors (2018), Helm identification guides, Helm, Londres 2018 - p. 245-247
- Morel, J. Gérard & Morel, Marie-Yvonne (1990) in Les Oiseaux de Sénégambie - notices et cartes de distribution, Editions de l'ORSTOM, Paris1990 - p. 49 (*2)
- Isenmann, Paul, et al., in Oiseaux de Mauritanie / Birds of Mauritania (2010), SEOF Paris 2010 - p. 128 (*1)
- Borrow, Nik & Demey, Ron in Birds of Western Africa (2014) - p. 108-109 & Birds of Senegal and The Gambia (2023) - p. 88-89 (*3), Helm field guides, Helm, Londres 2023, 2e ed.
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