Makhana : en lieu et place de l'Echasse blanche, un Vanneau du Sénégal... leucique


Résumé : quatre ans après la publication d'un article collectif sur la peu documentée reproduction de l'Echasse blanche Himantopus h. himantopus au Sénégal, sous la direction de Bram Piot, je retourne à la confluence Djeuss-Lampsar, vers Makhana, sur l'un des trois sites de nidification que nous avions repérés dans le septentrion sénégalais. Hélas, plus rien, tout y a été chamboulé - tabula rasa. Pour compenser ma déception, un rare cas de leucisme chez le Vanneau du Sénégal ; un Tarier d'Afrique les yeux plus gros que le ventre ; et, inespérée, la découverte d'un nichoir artificiel pour Effraie - merci aux GDS ?

* Makhana : à la confluence du Djeuss et du Lampsar-
19 février 2025, 8h30-15h25. A pied, 10,21 km. 
Météo : 18-30° à l'ombre, vent du nord agréablement rafraichissant, le matin ; ciel dégagé, soleil vif (car sans filtre poussiéreux) l'après-midi.

Au droit de la route de Diama, j'avais bien vu que la plaine avait été débroussaillée, aérée, grandement offerte au soleil de plomb et à l'harmattan. Place aux carrés rizicoles, enfin censés l'être ; peut-être pendant les pluies, s'il y en a. En tout cas jachères malingres en cette saison sèche, et au vu des chaumes restants, à l'évidence pas des plus productivistes. L'important est de passer de l'inutile à l'utile, hein ! Tout ça pour ça, qu'on se renfrogne néanmoins, obtusément dubitatif (et négativement non-progressiste, je devrais avoir honte). L'ordre et la contrainte disciplinaire exclusivement imposés à Dame Nature sous ces latitudes ont cela de rassurant, c'est qu'à cette heure ils ne procèdent pas de l'idéologie sectaire de nos plus fervents de l'avantistes ("La Nature c'est l'ennemi," a professé le lumineux Jacques Attali !), ils demeurent souvent artisanaux, et parfois provisoires, laissant encore bien qu'involontairement quelque issue au Vivant qui peut se refaire la dragée après la pulsion destructrice ; on se rassure comme on peut. On bricole, on bidouille, on ne maitrise pas la science de l'irréversible comme chez nous ; pas encore, mais avec l'aide des développeurs du business dit alimentaire donc humaniste et, surtout, de la démographie encouragée par tous les moyens, on y parviendra par d'autres voies ; je n'en doute pas, le génie humain a plus d'un tour dans sa besace, plus fort que la raison devenue déraisonnée. C'est notre nature-à-nous(-tous) ; notre grand dessein, notre destinée. Sur leur dune emmaillotée de serres à bananes et tomates-cerises, depuis leur vaste balustrade résidentielle les hérauts du grand domaine sénégaulois ont le panorama prometteur dont ils sont aussi les influenceurs convaincus. Perfide, au pied du balcon et pendant quelques secondes avant de me ressaisir, j'ai pensé à La Zone d'intérêt, le film de Jonathan Glazer (2023). 

A l'évidence, tirer l'eau des Djeuss et Lampsar voisins ou du canal des GDS pour faire de la contre-saison n'est pas de saison non plus, peut-être faute des moyens techniques que possèdent et maitrisent les puissants exploitants agricoles sur leur perchoir, venus d'au-delà les mers et le Sahara. Ils s'occuperont de tout cela tôt ou tard. Reprenant ce qui avait été plus sobrement fait, jadis, avant l'Indépendance, ici même, par un simple et ingénieux système de roubines vannées (cf. photo ci-après). Abandonnées, évidemment, après la décolonisation politique. En attendant, entre la piste-digue et la rivière, le bric-à-brac habituel des parcelles autochtones grignote dans un invraisemblable gâchis environnemental - détruire et si peu produire...- les étroites prairies inondables et arborées. Ces 'jardins' qui n'ont rien d'ouvriers sont d'une horreur indescriptible, derrière leurs clôtures d'épineux et de bâches déchirées, leur portail de tôle claquant au vent ; chaises plastiques à trois pieds, abri sommaire, pneus et plastiques erratiques, pour un bout de terrain visuellement peu rentable et fort présomptueux en regard du dérisoire carré d'oignons qui a été cultivé dans un recoin du lopin arraché à la nature. C'est leur culture, diront les bonnes âmes y compris (et surtout) écolos (de-chez-nous).

Loin du village sur sa dune, donc en se rapprochant de la route de Diama, la berge du Djeuss est encore épargnée par la conquête parcellaire, le saccage et l'enlaidissement. Cette année, l'importance de la crue a créé de belles prairies ripariennes encore inondées en cette mi-février (en médaillon ci-dessus), y compris sur les défluents. Le fleuve soit loué, et les lointains guinéo-maliens bien arrosés par la mousson avec lui. La miséricorde des cieux a dédaigné le seul Sahel sénégalais et uniquement lui. Le miracle lointain aidant, Chevalier culblanc (Tringa ochropus), Bécassine des marais (Gallinago gallinago, cf. photo ci-après) et Bergeronnettes printanières (Motacilla flava ssp.) bénéficient de sites d'hivernage conformes à leurs besoins, c'est déjà ça de gagné, on prend tous les répits qui se présentent, même accidentels.

En médaillon ci-dessus :
prairie inondable en bord de Djeuss 
Ci-dessous :
en haut à g., vannes coloniales de type 'Camargue' - à d., la plaine de Makhana, à nu
en bas à g., l'envol de la Bécassine des marais - à d., un peu en amont de la confluence Djeuss-Lampsar
Vers Makhana 2025 02 19 / @ photos Frédéric Bacuez
- Cliquer sur les photos pour agrandir -



Je reviens donc dans cette plaine enserrée entre le Djeuss, au nord, le Lampsar, à l'est, et le canal des Grands Domaines, au sud. Histoire de voir où en est le petit site de reproduction de nos graciles échasses. Mon appréhension est rapidement confirmée : il n'y a plus de tertres limoneux supports des quelques nids, plus de lagon digne de ce nom, plus guère de végétation hormis quelques reprises de Tamarix senegalensis. Le 20 avril 2019, Bram Piot et Vieux Ngom  avaient observé ici quatre paires (au moins) qui tentaient de nidifier. Au vu de l'instabilité des sites et des hauteurs d'eau nécessaires à sa nidification, il est évident que l'Echasse blanche ne peut se reproduire qu'irrégulièrement, et en très petits effectifs, dans la vallée inférieure du fleuve Sénégal (et probablement partout dans le pays). Le grand chambardement agraire en cours ne va pas stabiliser la situation de nos délicats oiseaux.

" Dans le nord sahélien qui nous intéresse sur ce blog, les mentions de reproduction proviennent de quatre (4) endroits : trois données d'un lagon hyper saumâtre au parc national des oiseaux du Djoudj (P. Triplet 2014, F. Bacuez puis Vieux Ngom 2017*2) ; et trois documentations saint-louisiennes, sur deux sites voisins d'un défluent du fleuve Sénégal (B. Piot & V. Ngom 2019 ; F. Bacuez 2015 avec A. & D. Mignot), et dans un bas-fond de riziculture familiale aujourd'hui comblé par un entrepreneur éradicateur de la place, entre Bango et Sanar (F. Bacuez 2016). Sans oublier ces juvéniles tout juste émancipés, vus et photographiés en novembre et décembre 2019 à la station d'épuration de Saint-Louis (obs. B. Piot, puis Jérémy Calvo & F. Bacuez), supposant une éclosion dans les environs. L'effectif reproducteur concernerait au Sénégal et en Gambie quelque 150 à 200 couples ; seulement. "*1

- Notre article collectif sous la direction de Bram Piot :
- Lire sur Ornithondar, précédemment : 

Ci-dessous :

16.102710°N 16.371880°W, c'était ici...

ultime lagon et tann moribond sans aucun tertre à nidification pour Himantopus h. himantopus
Vers Makhana 2025 02 19 / @ photos Frédéric Bacuez



Un Vanneau du Sénégal, leucique

Dans l'austère paysage uniformément jaunâtre, un rien blafard, il est comme le nez au milieu de la figure ; vite repérable. Immobile au milieu des maigres chaumes rizicoles, un échassier neigeux tente de se faire tout petit, guiboles fléchies, lorsque des Vanneaux à éperons (Vanellus spinosus) le survolent et lui effleurent méchamment le crâne. A l'évidence, la différence et la blancheur de l'oiseau leur déplaisent fortement - le racialisme aurait-il aussi atteint le monde de nos chers emplumés ? Avec force cris et agressivité aérienne, les éperonnés font bien comprendre à l'intrus, lui aussi armé d'un crochet à chaque aile (on l'oublie), qu'il est de trop sur le carré. Ce n'est pas un gardeboeufs, pas plus une aigrette ; les caroncules jaunes qui pendent et qui n'en sont que plus visibles ne laissent aucun doute, me voici devant un cas rare de Vanneau du Sénégal (Vanellus senegallus) leucique (cf. photos ci-dessous et en haut de billet). Pas d'oeil rouge, pas de blancheur pure du plumage, ce n'est pas un albinos mais comme on l'a vu ici chez plusieurs espèces, le plumage de cet individu a un déficit de mélanine. Les aléas génétiques y sont sans doute pour beaucoup mais il est aussi probable que l'alimentation a sa part de responsabilité*. Les oiseaux dépigmentés ne sont pas aussi anecdotiques qu'on le croit, dans le bas-delta du Sénégal : chez les pélicans, par exemple. On a déjà vu des Tourterelles maillées et des Bulbuls des jardins atteints de ces anomalies chromatiques sur l'île patrimoniale de notre bonne ville de Saint-Louis. Les passereaux sont en général plus touchés par le phénomène.

* Lire : L’albinisme et le leucisme chez les oiseaux, in Ornithomedia 2020 11 16

Ci-dessous et en haut de billet :
Vanneau (caronculé) du Sénégal leucique
Vers Makhana 2025 02 19 / @ photos Frédéric Bacuez



Le Tarier d'Afrique et la chenille de Vinson

Un Tarier d'Afrique (Saxicola torquatus ssp. moptanus) traverse en vol la piste, transportant par le bec quelque chose qui semble démesuré et lourd pour notre passereau. Il se pose vite, avec sa charge, et je comprends que le joli pâtre mâle a décidé de se faire la chenille d'un gros papillon local, le Voilier des citronniers (alias Papillon de Vinson). Et que de secouer la larve verte en tout sens, essayant de l'estourbir sur le sol à la manière des guêpiers autrement plus adroits pour ce genre de mise à mort. Parfois le traquet tente d'ingérer la proie mais il y a comme de la résistance (visqueuse ?). Je laisse bientôt mon petit passereau à son ambitieux petit déjeuner rabelaisien. J'aime beaucoup ce passereau injustement dédaigné par les observateurs alors que notre sous-espèce moptanus est très localisée sur ses terres de l'Afrique sahélienne : au Sénégal exclusivement dans la basse vallée du fleuve (il a peut-être déserté la Moyenne vallée et les environs du lac de Guiers), puis au Mali dans le delta intérieur du fleuve Niger - et c'est tout. Exigeant quant au biotope (prairies inondables souvent et paradoxalement à proximité de tanns salins et de rizières villageoises), la race sahélienne moptanus (de Mopti !) est la seule des treize (13) sous-espèces africaines du groupe torquatus de ce tarier à ne pas être inféodée aux plateaux et prairies d'altitude (pour l'Afrique occidentale, la nebularum est résidente des hauteurs de la Sierra Leone à l'ouest ivoirien). J'ai bien peur que le patrimoine ailé cher à tous mes contemporains de la basse vallée sénégalo-mauritanienne (je plaisante...) n'ait à affronter des lendemains peu optimistes pour sa survie. Il serait temps d'étudier (à défaut de pouvoir faire autre chose) son statut dans le walo (les basses terres alluvionnaires) soumis à d'éprouvants re/dé-membrements au profit d'une nouvelle agriculture sans égard pour l'environnement et le Vivant. Il est des spots fréquentés par le Tarier d'Afrique sur lesquels je ne contacte plus le passereau depuis les premières années de la (dévastatrice) décennie 2010-2020 ; et ce n'est pas fini, loin s'en faut.

Ci-dessous :
Tarier d'Afrique, mâle avec sa proie, une chenille du Papillon de Vinson
Piste-digue du Djeuss vers Makhana 2025 02 19 / @ photo Frédéric Bacuez



Un nichoir artificiel pour Effraie, trois nids naturels d'Apodidae

Me voici au bas de la dune occupée par les Grands Domaines du Sénégal (GDS), les pieds dans la Teranga depuis vingt-deux années (2003). Une filiale de la très discrète Compagnie fruitière de Marseille (France), pourtant vieille de 86 ans (1939), fleuron de l'agriculture tricolore, horticole et fruitière françafricaine d'ex/im-portation (notamment des bananes et ananas des Cameroun, Ghana et Côte d'Ivoire). "Numéro deux européen des fruits exotiques", fière de tous ses certificats de qualité irréprochable et non vérifiable par le commun des gogos. Ici sur les sables à nématodes de Ndiawdoune-Mbakhana, sous de vastes serres bâchées le bassin d'emplois cultive de la tomate délicate - cerises, grappes et olivettes de contre-saison, coupe-faim pour les affamés d'Europe, petits sous pour les salopettes d'Afrique, marges confortables pour l'opérateur. Plus des bananes ; j'espère que celles que j'ai achetées à l'Auchan de Saint-Louis (Sénégal !), the grocery where you must to show yourself (surtout pendant le Ramadan), ne proviennent pas de là, car elles fleurent une drôle d'odeur pas très bio. Il est vrai que depuis nos petites bisbilles avec les Domaines d'il y a une quinzaine d'années, qui nous avaient valu l'honneur de visiter le site suite à mes scribouilles (sur des problèmes d'eau pas très potable), on a vu ce que des entreprises plus expéditives que les GDS avaient fait, et continuent de faire de la vallée, de mal en pis. Il suffit de voir ce qu'il advient des aires prétendument 'spéciales' ou 'communautaires', absolument non protégées par les oboles, panneaux et brochure environnementalo-humanistes (cherchez l'incompatibilité !) des compagnons de route de la chasse bleu-blanc-rouge ou des institutions positivistes adeptes du papier glacé et de l'atelier de réflexion. Pot de terre contre pot de fer, la messe de funérailles est dite.
Première surprise, au pied de la dune GDS : de l'ombre ! Un épais rideau arboré protège le domaine derrière ses barbelés, dissimulant aussi toute la déchetterie plastique qu'implique ce genre d'agriculture hors-sol. Au moins ici tout cela ne s'envole pas avec le vent, du nord (de ce côté de la dune) comme de l'est (l'harmattan). Malgré la cognée villageoise qui vient y prélever sa dette "coloniale" (pour plaire à monsieur Blanc qui ne jure que par la gestion communautaire des espaces 'naturels' du continent ; ceux qui suivent la production intellectuelle française comprendront le crédit qu'a ce dangereux profinfluenceur (sic) auprès d'une certaine jeunesse déchristianisée mais adepte de la contrition perpétuelle), la haie conserve de très beaux arbres comme ce remarquable spécimen de Balanites aegyptiaca (cf. photo ci-après). Evidemment, les oiseaux profitent de ce petit miracle indirect : Agrobate podobé, Agrobate menu, Traquet brun, Pouillot véloce et P. de Bonelli, Fauvette grisette, F. passerinette et F. à tête noire, Rougequeue à front blanc ; Coliou huppé et Choucador à oreillons bleus, Bulbul des jardins en entends-tu en voilà !

Aux lisières du boisement mais cernées par l'invasif Prosopis juliflora, trois maisons défenestrées et en partie décoiffées, ouvertes à tous les souffles d'air et, pire, les intrusions humaines. Venu y chercher quelque autre surprise (Chiroptères, Reptiles et peut-être un rapace nocturne), je trouve trois nids intégralement duvetés du Martinet des maisons (Apus affinis ssp. aerobates), en cette saison inoccupés (cf. photo ci-après). Puis, dans un vaste hangar désaffecté, me voilà comme entrant dans une église avec en lieu et place du retable un grand nichoir artificiel pour lequel on n'a pas lésiné en moyens de construction et de suspension (cf. photo ci-après). Une implication de la 'communauté des voisin.e.s' de Makhana ? Un programme national piloté par je ne sais quelle asso' 'de terrain' engagée et dont je n'aurais pas suivi les hauts faits d'armes ? Et s'il s'agissait d'un don intéressé des Grand Domaines au Vivant ailé ? Attirer ici l'Effraie des clochers (Tyto alba ssp. poensis) puis "magnifier" la lutte acharnée contre les petits prédateurs de nos nécessités alimentaires. Pour cela la chouette sait y faire. Méthodes de Guillotin, garanties sans chimie. J'avais eu vent que nos bons camarguais sénégalisés voulaient appliquer la même solution dans leurs rizeries allègrement pillées par Rats roussards et Souris à mamelles multiples ; ainsi celle du Ndiaël dont les deux greniers rutilants et hauts comme des buildings m'ont longtemps servi de boussole avant le GPS pour m'orienter dans la réserve spéciale. Je ne sais ce qu'est devenu le projet. Hélas ici, pas de Dame blanche dans le coffre, ni aux alentours, je l'aurais sentie (fort) et il y aurait des monceaux de micro-mammifères décapitées sur l'autel... Installation trop récente ? Inutile au vu de l'abandon du hangar ? Allez savoir. Au bas du mur, l'injonction 'Ne pas toucher' a été recouverte par un badigeon de chaux, qui ne suffit pas à l'effacer cependant. Une rébellion de la 'communauté' qui se sent dépossédée de la gestion de son 'environnement' après avoir lu et digéré Guillaume... Blanc ?

Ci-dessous :
en haut à g., vénérable Balanites aegyptiaca - à d., Choucador à ventre roux sur Tamarix senegalensis
en bas, nichoir à Effraie et nid de Martinet des maisons
Makhana 2025 02 19 / @ photos Frédéric Bacuez

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Galerie photos : le Traquet de Seebohm, du Maroc au Sénégal

Hyaenidae: appel à témoins...

5, un varan des savanes: la gueule-tapée ou plus coriace-tu-meurs !