16 et 27, arrière-pays du Gandiolais : du Loup à l'Oricou, tordre le cou au Vivant !


Résumé : c'est une histoire tragique en deux actes. Scène de crime d'un feuilleton mortifère hélas encore inachevé. Le 16 février 2025 lors d'une vérification de loge à Pic gris, nous nous retrouvons nez à nez avec un berger armé traquant les Loups dorés qui croquent ses chevreaux. Il nous présente la photo d'un cadavre de loup adulte sur son téléphone. Ses garçonnets préposés au gardiennage des Caprins nous confient ensuite que leur paternel en a déjà buté quatre - de Canidés. Le 27 février, au cours d'une prospection ornithologique, 1300m à vol d'oiseau au nord du spot nous découvrons deux dépouilles de chèvres avec à leurs côtés, un Milan à bec jaune plus un adulte de Vautour oricou, morts, probablement empoisonnés. Ce dernier est inscrit à la Liste rouge des espèces menacées d'extinction (EN/UICN). Cette mort 'accidentelle', d'un adulte qui plus est, et en fin de période de nidification, s'avère catastrophique pour la situation d'un des ultimes bastions d'un Vulturidé en situation plus que précaire en Afrique de l'Ouest.

* Arrière-pays du Gandiolais-
16 février 2025, 7h35-16h15. Avec Ablaye Sow.
Météo : couvert à ensoleillé. L'ensoleillement est élevé malgré le filtre poussiéreux voilant, et l'index UV atteint 8. Température : 17 - 27 - 23°C. Petite brise (12-20 km/h) du N-NO - vent 'frais' parfois en rafales (>33 km/h).

Acte I - Kill the till !

Le 16 février dernier au cours d'un transect pédestre de 10,5 km, nous inspectons un séculaire Baobab africain (Adansonia digitata) sur lequel Ornithondar suit depuis une dizaine d'années la reproduction d'un couple du Pic gris (Dendropicos elachus), emblématique espèce du biome sahélien. Les dernières cavités utilisées dans une branche asséchée de l'arbre spongieux sont toujours là, elles ne semblent pas réquisitionnées par d'autres oiseaux ; mais après plusieurs heures de prospection alentour et d'attente in situ, il me semble évident que la période nuptiale du Pic gris n'a pas encore débuté. La calamiteuse mousson 2024 dans la basse vallée du fleuve, a contrario des records pluviométriques tombés en amont du Sénégal et sur toute la bande sahélo-saharienne à l'orient du Ferlo, a peut-être refroidi les noces bruyantes et donc immanquables de nos petits lutins ailés. Il n'y a pas non plus péril en la demeure, sans doute un léger décalage dans les vocalises surexcitées du Picidé, typiques de la période (en tout cas par ici).

Ici aussi on veut buter le loup (till en wolof) ! 

Nous sommes là, Laye et moi, patientant à l'ombre parcimonieuse des prosopis et acacias, dense barrière défensive du vénérable baobab à pics. Soudain, à quelques mètres de nous sous son chapeau peuhl un homme passe, et je crois qu'il tente de dissimuler derrière son dos quelque chose qu'il porte en bandoulière : un fusil. Je vais à sa rencontre et lui demande ce qu'il fait, s'il est un chasseur (pratique plutôt sénégauloise d'importation saisonnière que wolof ou halpulaar). Il me dit qu'il cherche le till ! Voyant que je ne comprends pas, il sort son smartphone et me montre une photo d'un Loup doré (Canis lupaster) à l'évidence fraîchement dézingué. Avec l'aide linguistique de mon acolyte, qui émerge, je lui demande :
- C'est toi qui l'as tué ?
- Oui, il mange mes chèvres ; il en a tué beaucoup !
Et de reprendre sa ronde. Après avoir pris la poudre d'escampette, les jambes à leur cou en me voyant arriver tout à l'heure - le Toubab mange encore les pitits nenfants !-, deux de ses garçons reviennent prudemment, et s'accrochent aux arbustes pour nous étudier, avec nos armements-à-nous. Je poursuis l'interrogatoire : leur père a déjà quatre canidés à son tableau de chasse vengeur. Ils me disent cela sans fierté pas plus que de honte. Rien que de normal. La Nature, c'est l'ennemi. Pendant ce temps, chèvres et moutons déambulent alentour, à bouffer du sable, au hasard comme sur tout le périmètre que nous venons de parcourir et allons encore investiguer ; comme notre éleveur ; plus libres encore que leurs cousins de mes montagnes savoyardes. A l'heure devenant chaude, le justicier auto-proclamé a probablement regagné ses pénates sur la dune. Il n'a pas peur pour les mollets de ses mignons. Esope et Grimm n'étant pas sénégalais, pour ceux-là le seul vrai Méchant Loup reste pour l'Eternité le descendant de colon. Leur géniteur a pourtant tort de démissionner au zénith ; quelques dizaines de mètres plus loin, avec juste un parterre de Figuiers de Barbarie entre lui et moi (Laye croit que j'ai repéré un Picci, un oiseau, en wolof), un jeune loup nous croise à cinq mètres et, le vent en notre faveur, ne nous a ni flairés ni vus ; il contourne le tapis de fruits épineux, redresse la tête : demi-tour lancé en arrière illico, notre carnassier disparaît dans la seconde au coeur des broussailles. Quelques dizaines de mètres plus tôt nous étions tombés sur un chevreau récemment goûté, évidé de ses meilleurs morceaux. Nous ne sommes pas chez les Sérères du sud sénégalais dont le folklore et la cosmogonie tiendraient le Loup doré (comme la Hyène tachetée) en haute estime pour avoir été la première créature intelligente conçue par le tout-puissant dieu Roog : 

« Le [loup] était le premier sur Terre.
Et sera le dernier.
Roog a envoyé son messager sur Terre.
A quoi cela va amener toute l'humanité.
Le messager a fait le tour de la Terre.
Il est revenu en disant :
"Rien n'est là.
Seul le [loup] reste". »

A l'évidence, le loup ne sera pas le dernier sur Terre. Roog s'est fourvoyé.

Références :


Ci-dessus :
le berger vengeur traque le Loup doré
Gandiolais 2025 02 16 / @ Photos Frédéric Bacuez 

" (...) déjà quatre canidés à son tableau de chasse vengeur. "

Ci-dessous :
à g. - chevreau éventré par un Loup doré
à d. - avec les petits bergers devant le baobab aux Pics gris
Gandiolais 2025 02 16 / @ Photos Frédéric Bacuez
- Cliquer sur les photos pour agrandir -



* Arrière-pays du Gandiolais, vers Toug-
27 février 2025, 12h-16h. Avec Gabriel Caucal, Roland Cléva, Fabien Delorme et Aude Cazanave.
Météo : partiellement nuageux (33-48%), chaud et sec derrière le cordon dunaire. Température : 30 - 34°C. Vent : très légère brise du nord qui ne suffit pas à atténuer cette dure journée de transition météorologique.

Acte II - du Loup à l'Oricou, dommages collatéraux...

Petit transect de 3,27 km, toujours en quête du Pic gris dans les boisements d'acacias au nord de la piste Ndiol-Rao, vers le hameau de Toug. A défaut de l'Autour sombre que je n'observe plus depuis quelque temps, nous levons sur zone un Faucon de Barbarie (Falco peregrinus pelegrinoides) qui s'abreuvait sur une flaque bientôt tarie ; un Circaète Jean-le-Blanc (Circaetus gallicus) ne fait que passer dans le ciel laiteux. En fin de parcours avant de basculer derrière l'ourlet paralittoral et retrouver un peu des alizés, c'est le choc, l'effroi : gisent sur le sable et sur le dos, serres refermées, un Milan à bec jaune (Milvus migrans parasitus) et, surtout, un adulte de Vautour oricou (Torgos t. tracheliotos). A proximité immédiate (pas plus de 20 m), dans cette petite éclaircie sablonneuse au milieu des acacias, une dépouille de chèvre exposée au soleil, et une autre suspendue à la fourche d'un petit arbre ; toutes deux desséchées mais bien ouvertes. La consternation passée, nous sommes vite d'accord entre nous (cinq ornithos) pour envisager très rapidement l'empoisonnement des cadavres domestiques. J'explique à mes camarades la scène à laquelle nous avions assisté vingt jours plus tôt, 1300 mètres au sud du charnier (à vol d'oiseau). La seule question demeurant : est-ce notre berger revanchard qui est venu ici déposer ses bêtes contaminées ? Ou est-ce un autre éleveur, d'un campement ou d'un hameau limitrophes - il y en a plusieurs sur la dune ? 

" L'empoisonnement accidentel généralisé, dû en grande partie à la strychnine, utilisée par de nombreux " paysans (agriculteurs comme éleveurs) " pour lutter contre les prédateurs, et plus récemment au carbofuran, a contribué de manière significative au déclin des populations (Brown 1986, P. Hall in litt. 2000, Otieno et al. 2010, C. Kendall in litt. 2012). On a découvert que plusieurs vautours oricou étaient morts après s'être nourris de la carcasse d'un chacal empoisonné en Namibie (Komen 2009) (...) "
- in UICN Red List 2021

Discussion : ici même nous avions abondamment évoqué le drame bissau-guinéen qui avait emporté plus de 2000 Vautours charognards (Necrosyrtes monachus) suite à un empoisonnement délibéré afin d'alimenter un sulfureux trafic de poudres de perlimpinpin à base d'organes dudit Vulturidé, longtemps très commun jusqu'au coeur des villes africaines. Le déficit de documentation, de relais associatifs, scientifiques et pédagogiques dans l'Afrique de l'Ouest est inverse au choix de l'Afrique australe et orientale de médiatiser ce genre de délits. Large diffusion et réactivité des acteurs compétents permettent d'y sensibiliser et, surtout, contrer cette inflation mortifère, directe et indirecte, affectant la faune et, en bout de chaîne, les nécrophages du Vivant ad patres, les vautours. Au Sénégal, pas ou très peu d'information quant à l'usage de la chimie destructrice du Vivant. Le silence, le désintérêt, l'inaction et le goût de la palabre stérile font office de catharsis. Même s'il ne faut pas longtemps, en arpentant champs, vallées et villages pour percevoir que l'usage inconsidéré et totalement irresponsable de la chimie est ici aussi débridée qu'ailleurs. Pire, on commence à peine à documenter ce qui va achever nos brousses et campagnes : délibéré, l'empoisonnement de dépouilles d'animaux domestiques dans le seul but d'éradiquer la prédation du petit cheptel par le Loup doré ; sans jamais imaginer que ces 'techniques' tuent de manière indiscriminée, certes le canidé, mais aussi les fantomatiques hyènes survivantes au nord du 15°N, les Renards pâles, les mangoustes, ratels et autres. Sans oublier l'avifaune. Au premier chef les rapaces dont les vautours, espèces parmi les plus rares ou déclinantes du continent (et de notre pauvre planète). Le professeur Dr. Antonio-Román Muñoz (Université de Malaga, Espagne) dont les équipes tentent régulièrement de dénombrer et géolocaliser les aires de Vulturidés au Sénégal, m'écrit aujourd'hui qu'"il Il est très probable que l'utilisation de poison soit plus courante qu'on ne le pense. Nous avons récemment été témoins d'un événement tragique impliquant l'empoisonnement de 14 Vautours de Rüppell (près de Louga), ainsi que d'un Vautour fauve que j'avais précédemment marqué avec un appareil GPS en Espagne. " Ces événements récents montrent " l'ampleur du recours au poison, " " souvent en conjonction avec des efforts de contrôle de prédateurs comme le Loup doré d'Afrique ou les chiens. " " Vos observations confirment encore davantage cette tendance inquiétante. " Dont acte.

En haut et ci-après :
cadavre de Vautour oricou - Torgos t. tracheliotos
adulte mort probablement par empoisonnement de deux dépouilles de chèvres à proximité
Arrière-pays de Gandiole vers Toug, 2025 02 27 / @ Photos Frédéric Bacuez
Carte et géolocalisation des deux sites (l'homme à fusil et le charnier) / Courtesy @ Jérémy Calvo
- Cliquer sur les photos pour agrandir -




Nota : Le Vautour oricou est inscrit à la Liste rouge des espèces menacées d'extinction (Union pour la Conservation de la Nature, UICN), depuis 2016 dans la catégorie En Danger (EN). Présent en Afrique (5 330 ind., en très fort déclin) et dans la péninsule arabique (1 200 ind., stable voire en regain), sa population continentale a drastiquement baissé au cours des XXe et XXIe siècles (Mundy et al., 1992 ; UICN, 2021) à raison de 3,5% par an, soit une chute impressionnante de 79% sur trois générations (Bird et al., 2020). La population totale n'excèderait pas 9 200 sujets. Le plumage adulte n'est atteint qu'à l'âge de 6-7 ans. Au Sénégal, l'Oricou est censé se reproduire surtout en décembre-janvier-février, sur des acacias ou des baobabs.
L'effondrement des populations du Vautour oricou est particulièrement marqué dans l'Afrique de l'Ouest ; il le doit aux dérangements et pillages des nids par les Hommes (et leur progéniture), à la quasi disparition des ongulés sauvages du paysage sahélo-savanicole hors des deux ou trois grands complexes naturels encore non anthropisés (W-Pendjari-Arly / Comoé / Niokolo Koba), à l'intensification et l'hygiénisation de l'élevage domestique ; et désormais, pour parachever le grand oeuvre humain, à l'utilisation généralisé des pesticides pour contenir les ravages par les rongeurs (agriculteurs), et éliminer la pression des prédateurs sur le petit cheptel (éleveurs) par l'empoisonnement de carcasses à la strychnine et au carbofuran. On ne compte plus le nombre de cas d'empoisonnements massifs en Afrique australe et orientale ayant parfois décimé jusqu'à 86 oricous d'un coup un seul. Ce qui inquiète, c'est que ces pratiques atteignent à leur tour des pays comme le Sénégal jusqu'alors peu affectés par l'empoisonnement des carcasses d'animaux. Dans notre région soumise à une démographie exponentielle et à la course effrénée aux terres agro-pastorales, l'espace vital (et reproducteur) des Vulturidés (et autres) se réduit d'année en année, comme peau de chagrin. Le bétail est redevenu pléthorique, bien plus nombreux et sain qu'avant les grandes années de sécheresse (années 1970-1990). Avec le retour des pluies et la raréfaction paradoxale des parcours à bestiaux, c'est le petit cheptel qui pululle. Partout, libre comme le sable d'harmattan, sans gardiennage attentif. Quant à l'ultime grand prédateur qu'est le Loup doré, il est délogé de ses terres comme jamais. Par les grands domaines agricoles ici (basse vallée, Trois-Marigots, pourtour du Ndiaël) ; par le maraîchage qui s'infiltre partout, là, dans les inter-dunaires, près du moindre point d'eau ; voire par l'exploitation industrielle des minerais : à quelques dizaines de kilomètres au sud, les dunes paralittorales sont actuellement et intensément ratiboisées jusqu'au seuil du 'désert' de Lompoul par la plus grosse excavatrice au monde - cocorico ! On est plus sensible à la robe du zircon qu'à celle du Loup, même doré.

Références :

Ci-dessous :
en haut - carte de répartition du Vautour oricou en Afrique occidentale / @ UICN 2021


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