10, le loup, le laobé et le patas - tué par le second, ravi par le premier...

Ci-dessus:
un patas tué par un chien laobé est convoité par un loup d'Afrique
2018 02 10, 19h11 & 19h14 / © Photos par Frédéric Bacuez

* Plaine de crue du fleuve Sénégal -


Samedi 10 février 2018.
SOIR, ~18h50-19h35-
En véhicule.
Avec Daniel Nussbaumer [Nos Oiseaux, Suisse], Part. 1 B



Ci-contre: coucher de soleil sur la Mauritanie
Depuis la berge sénégalaise du fleuve, au débouché du 'canal de décharge'
2018 02 10, 18h54 / © Photo par Frédéric Bacuez

Dans la plaine de crue asséchée, abîmée, maltraitée. C'est une histoire qui a toutes les apparences d'une fable de La Fontaine. Ce soir, quand nous passons sur la digue, une troupe de patas 'singes rouges' (erythrocebus patas, patas monkey) est occupée à glaner au sol dans un parterre d'herbes sèches. Il y en a une vingtaine, loin de ce qu'était le clan il y a encore une huitaine d'années; à l'époque, il y en avait bien soixante, c'était impressionnant de les voir arpenter la plaine de long en large. La troupe s'est-elle disloquée ? S'est-elle réduite faute de pouvoir bien se reproduire ? Les individus qui la composent se font-ils plomber les uns après les autres ? Ici même il y a quelques semaines, j'étais à l'affût, quelqu'un a tiré (sur quoi ?) et j'ai vu la bande s'enfuir au loin puis recommencer sa quête alimentaire, toujours sur ses gardes. La pression anthropique s'est accrue, et accélérée, sur cette partie de la plaine alluviale, dès après le percement du canal dit de décharge.

Mère patas morte, son petit condamné

Nous avons dépassé un berger qui mène son troupeau de bovins faméliques vers l'abreuvoir, sur le canal. Il est accompagné par un chien laobé, qui n'est pas le même que celui qui nous occupera, au crépuscule. Au débouché de la vidange dans le fleuve Sénégal, nous observons quelques limicoles et laridés; et assistons au coucher du soleil, happé à l'occident par les brumes de sables qui retombent du ciel, à cette heure (cf. photo ci-dessus en médaillon). A partir de 18h50, le jour décline rapidement, nous rebroussons chemin. Voilà que le même berger se met en travers de la digue et brandit devant le pare-brise un (1) bébé de patas. Je fais un signe de désapprobation, le gars pense probablement que nous allions lui prendre, et peut-être même acheter le petit singe âgé de quelques semaines à peine. Les toubabs aiment tellement les bêtes, surtout à domicile... Je demande à Daniel de continuer sa route. Dans le rétroviseur, nous voyons le berger, même pas dépité, balancer le petit patas au bas de la digue; et continuer sa progression. Ce patas est irrémédiablement condamné.

Quelques dizaines de mètres plus loin, sur ma droite. Un (1) chien jaune d'Afrique de l'ouest dit laobé*2, ou un de ses innombrables descendants issus de croisements avec des races importées, est en contrebas en train de lécher le sang d'un animal gisant devant lui: un (1) patas, un adulte. Nous comprenons: ce singe était une mère, et il y a quelques dizaines de minutes elle tenait serré contre elle le bébé que nous venons de découvrir, tétanisé, dans les mains du berger. Le chien, un costaud tout en muscles, a surpris la troupe et saisi cette femelle qui n'a sans doute pas eu le temps de réagir pour récupérer et emporter sa progéniture; à moins qu'elle ne l'ait perdue, ou lâchée dans la débandade et qu'elle a tenté courageusement de la défendre, face au clébard. D'autant que le laobé est réputé pour sa violence, surtout en meute; j'ai une amie qui en a deux, de ces chiens, et pas des bâtards; les siens ont récemment mis en pièces une malheureuse genette d'Afrique (genetta genetta ssp. felina) qui avait osé traversé leur jardin. Connu aussi pour ses sautes d'humeur, le bestiau: il pourra passer à proximité de ces singes des dizaines de fois, tranquillement, et puis un jour, sur un coup de tête il décidera de s'en faire un. Hélas pour le patas, qui est agile, rapide et courageux, mais n'en est pas pour autant un babouin. L'obligé des Hommes en aurait eu pour son pedigree: avec celle de la panthère, la mâchoire du cynocéphale est la plus puissante d'Afrique. 

Du loup ou du laobé, qui emportera le morceau ?

Soudain, arrivant par la gauche, voilà qu'un (1loup doré d'Afrique*(provisoirement canis lupus lupaster devenu canis anthus, african golden wolf) surgit d'on ne sait où et avance vers le chien et sa victime, à pattes de velours, buisson après buisson. Le loup sait pertinemment que le canidé des Hommes ne mangera pas le singe. Que c'est seulement un tueur, justement comme l'Homme, juste pour le plaisir de tuer - ils sont bien faits pour s'entendre, ces deux-là ! Le chien lève la tête et fièrement regarde alentour. Il finit par repérer l'intrus et stupidement démarre au quart de tour pour lui foncer dessus. Le loup esquive, détale au loin et revient, tout doucement, mètre par mètre. Le laobé veut savourer son crime, et rien d'autre. Le voilà reparti au train du loup, une femelle me semble-t-il. Celle-ci, intelligemment tourne autour des gros buissons de salicornes, derrière lesquels le gros bêta s'épuise, souvent contraint de s'arrêter. A plusieurs reprises, le loup parvient à approcher la dépouille chaude, juste le temps de la renifler et de reprendre le jeu des poursuites. Le chien est aussi taraudé par un autre souci: il lui faut rejoindre le troupeau de bovidés, et son maître; le voilà enfin parti, croyons-nous. Le loup a vite fait de croquer dans l'échine du malheureux singe et de l'emporter: le primate fait bien sa dizaine de kilos, peut-être plus que le poids de la louve; il faut pourtant la voir s'emballer et galoper avec le cercopithèque dans la gueule (cf. photos ci-après). Le molosse revient et se met à la courser, disons à faire semblant de la poursuivre; je crois volontiers qu'il pense jouer, maintenant, en faisant croire qu'il est le patron - aussi con qu'un Homme, ou un homme, celui-là... Le singe est vite relâché par la louve, qui ne joue pas, même à tuer gratis. Question de survie, c'est tout. Médor se remet à lécher le sang de sa victime et finit par en détacher une patte, avec laquelle il part, pour de bon; son nonosse comme un trophée. Le loup est déjà revenu, et, tout en surveillant la direction dans laquelle le laobé est parti, arrache au plus vite poils et tissus du patas; la chair est à vif sous les aisselles; le canidé sauvage, qui a faim, en tire goulûment de gros morceaux de viande aussitôt ingurgités. Bon appétit !

Il fait bientôt sombre. C'est l'heure des engoulevents (caprimulgus climacurus). Près du pont, longeant les herbiers du marais, un (1) autre loup doré (cf. photo en bas de notule) passe dans la lumière des phares. On est à quelque deux kilomètres de la scène du crime. Je suis persuadé que celui-là, il a déjà flairé le fumet du festin. Si sa partenaire l'accepte au banquet. En dix années de billebaudes dans cette partie de la plaine alluviale, je n'y ai jamais observé qu'un seul couple de loups d'Afrique. Plus un jeunot, une fois, réveillé dans un buisson de ce qui subsiste d'une misérable gonakeraie promise à l'éradication finale. Comme ces loups. Avant ou après les patas ? 

Liens:
*1 Au sujet du loup doré d'Afrique, qui n'est plus un 'chacal' depuis 2012 [travaux 2008-2012], s'il faut encore le rappeler aux étourdis:

*2 Au sujet du laobéLe ‘’Laobé’’ chien jaune d’Afrique noire, par Eva Rassoul pour au-senegal.com

Ci-dessous, de haut en bas et de g. à d.:
le loup d'Afrique, le chien laobé et le cadavre d'un patas (femelle) tué par le second...
A la fin, c'est la persévérance du loup qui paye. Mais à la nuit tombante, c'est un deuxième loup qui arrive; l'odeur du fumet, à deux kilomètres !
Plaine de crue du fleuve Sénégal 2018 02 10, 19h09-19h27
© Vidéos par Daniel Nussbaumer pour Ornithondar
© Photos par Daniel Nussbaumer (en haut à g. et à d.; en bas, au centre) & Frédéric Bacuez
- DIAPORAMA: cliquer sur les photos pour agrandir -


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