22, première mention sénégalaise d'un adulte d'Aigle de Bonelli

Aigle de Bonelli - aquila f. fasciata, sujet adulte
Gainthe, parc national des oiseaux du Djoudj (PNOD) 2015 12 22, 12h01
/ Courtesy © photo par S. Durand & S. Mériotte pour Balades naturalistes et Ornithondar, Droits réservés

* Zone de Gainthe, parc national des oiseaux du Djoudj (PNOD)-

2015 12 22, MIDI [Mise à jour 2016 09 4]-
Par S. Durand & S. Mériotte, de Balades naturalistes, qui ont eu la gentillesse de nous envoyer les photos de leur exceptionnelle observation

Profitons de la dernière parution française de Bonelli Info (n°18, juin 2016) pour signaler qu'une femelle adulte d'Aigle de Bonelli (aquila f. fasciata, Bonelli's eagle) a été observée et photographiée en 2015 dans notre vallée du fleuve, une première au Sénégal et peut-être au sud du Sahara pour un sujet adulte ! Ce sont nos collègues des excellentes Balades naturalistes, Sophie & Sébastien, qui ont fait l'heureuse découverte. C'était le 22 décembre 2015, dans les parages de Gainthe, au coeur du parc national des oiseaux du Djoudj (PNOD)*1. Nous savions déjà que des juvéniles d'aquila fasciata traversaient le Sahara pour passer quelques brefs mois dans le bas-delta sénégalais, d'octobre à janvier; cette période correspondant à la parade nuptiale des adultes, sur le pourtour méditerranéen, février-mars étant la saison des pontes. A plusieurs reprises Ornithondar avait documenté le séjour du rare et très menacé rapace (dans le Paléarctique occidental), ici au Sénégal - à Toddé, dans les Trois-Marigots et le Ndiaël*2, entre autres sites. Précision: toutes nos observations ont été faites au début et à la fin de son excursion sahélienne.

*1 Voir: Sénégal: Djoudj jour 2 (2015 12 22), in Balades naturalistes, 2016 02 13

*2 En rappel sur Ornithondar:

Nota: l'Aigle de Bonelli (aquila f. fasciata, Bonelli's eagle) n'est pas le rapace diurne le plus rare de la Méditerranée occidentale mais assurément le plus menacé (déclin de 20% sur deux générations, in BirdLife International 2004), le plus difficile à protéger avec efficacité. Il est particulièrement sensible au dérangement humain (escalade, chasse et toutes activités d'Homo Festivus); mais ce sont les modifications du paysage, son artificialisation et son grignotage par le 'Progrès' et la 'société des loisirs' qui touchent négativement le farouche prédateur. Les pylônes électriques et les éoliennes sont aujourd'hui les causes principales de son déclin, ou de l’extrême lenteur dans le regain de ses effectifs, toujours très fragiles hors Asie. Aquila fasciata est le rapace le plus affecté par des collisions et électrocutions avec ces 'équipements'. On l'a constaté à l'automne 2015 dans le sud-ouest marocain: suite à d’exceptionnelles pluies et à la prolifération consécutive de petits rongeurs, un afflux d'aigles (aquila adalberti, aquila chrysaetos homeyeri, aquila f. fasciata) avait été observé dans la région, en provenance des Haut et Anti-Atlas, du Draa (Maroc) mais aussi de la péninsule ibérique (Espagne et Portugal). Une forte mortalité avait alors décimé les grands oiseaux, une majorité de juvéniles et d'immatures erratiques, principalement par électrocution*avec une ligne moyenne tension non sécurisée - ce qui n'est pas l'apanage du royaume chérifien, on le rappellera au passage.... 
Vaille que vaille, les populations de l'ouest européen se redressent, après avoir décliné jusqu'à la fin des années '90, trop lentement malgré les énormes efforts de protection sur les périmètres de nidification, et de sensibilisation du bipède ludique ignorant: 27 couples en Italie, 33 couples en France (29 cc en 2009), plus de 110 couples au Portugal (en expansion), 733 à 768 couples en Espagne (situation très variable d'une région à l'autre, en bonne santé en Andalousie et Estrémadure). De l'autre coté de la Méditerranée, le déclin n'est pas stoppé: un inventaire de 2005 a donné 40 à 50 couples en Tunisie; les chiffres de 200 couples en Algérie, et de 500 à 1 000 couples au Maroc sont trop anciens (1985, par Thévenot et al.) pour être aujourd'hui indicatifs de l'état des effectifs maghrébins.

En France et en Espagne
" About 50% of all reported dead Bonelli's Eagles 
in Spain died because of electrocution [SEO 2007]. 
In France about 47% died because of electrocution [Lecacheur 2009] "
- In European raptors.org/Bonelli's Eagle

Au Maroc
" Le point noir de la mortalité par électrocution 
se situe entre les localités de Guelmim et Tan Tan. 
Dans cette zone, 70 oiseaux électrocutés (en majorité des jeunes) 
appartenant à sept espèces différentes ont été retrouvés 
sur 403 pylônes électriques: 
4 Cigognes blanches, 4 Aigles ibériques, 5 Aigles royaux, 
40 Aigles de Bonelli
12 Buses féroces, 4 Faucons laniers, 1 Grand-duc du désert "
Identification de la mortalité des rapaces par électrocution au Maroc (rapport), in MaghrebOrnitho 2016 09 4


*3 Spanish Imperial Eagles and other eagles found electrocuted in Morocco and proposition of correction measures, par Mohamed Amezian, Ali Irizi, Abdallah Errati, Hicham Loran, Rachid el Khamlichi, Diego Garcia Gonzalez, Jose Rafael Garrido, in ResearchGate 2015 11
*4 Identification de la mortalité des rapaces par électrocution au Maroc (rapport), in MaghrebOrnitho 2016 09 4 [ICI en anglais]
Un erratisme plus qu'une migration - en cours d'étude

Jusqu'à ces dernières années, l'Aigle de Bonelli (aquila f. fasciata, Bonelli's eagle) n'était pas considéré comme un migrateur. On savait que les sujets juvéniles et immatures vagabondaient dans les régions voisines de leur lieu de naissance*6, que des échanges entre la France et l'Espagne, l'Espagne et le Portugal pouvaient se faire à l'automne; qu'en hiver, les paysages estuariens et marécageux (Crau-Camargue, Ebre, sud-ouest marocain etc.) pouvaient voir surgir dans leurs cieux des sujets immatures comme adultes (Mebs & Schmidt 2006). En revanche, aucune preuve irréfutable de migration de moyenne ou longue distance n'avait été documentée, à tout le moins pas suffisamment étayée pour en tirer quelque conclusion. Au sud de l'aire de distribution et de nidification d'Aquila f. fasciata, les quelques mentions mauritaniennes compilées par Isenmann (in Oiseaux de Mauritanie, 2010) ou Browne (mars 2016), dans l'Adrar, dans la péninsule du Cap Blanc et autour du Banc d'Arguin [Trotignon 1979; Mahé 1985], et même vers Nouakchott, pouvaient indiquer qu'on était là aux limites méridionales extrêmes de l'erratisme d'aquila fasciata; pas suffisant pour suggérer un franchissement complet du Sahara. D'autant que sur les marges fluviales sénégalo-mauritaniennes, la porte d'entrée de l'Afrique subsaharienne, aucun signalement du coté de Morel & Morel, pas plus chez Sauvage & Rodwell - on est presque à la fin du XXe siècle... L'observation éventuelle d'aquila fasciata dans le Sahel sénégalais et mauritanien est d'autant plus aléatoire qu'une espèce afrotropicale, génétiquement très proche, très ressemblante, l'Aigle fascié (aquila spilogaster, african hawk eagle) peut/pourrait à l'occasion remonter sur nos marges: Browne rapporte des mentions du bas-delta (dont le Djoudj) et, comme Morel, de la moyenne vallée du fleuve. En avril 2015, Ornithondar a observé et photographié un Aquila juvénile qui pourrait bien être d'un Aigle fascié (Lire et voir ICI), malheureusement loin et en altitude au-dessus des Trois-Marigots.

A la fin des années '90, des mentions avérées d'Aigles de Bonelli au Sénégal commencent à s'intensifier, toutes faites du bas-delta à l'aval de Rosso. Le fragile regain des effectifs euro-méditerranéens au tournant du siècle y serait-il pour quelque chose ? Les mentions sont aussi toutes de juvéniles ou d'immatures - Aquila fasciata n'atteignant son plumage adulte qu'en sa quatrième année (3-5 ans).

" 2004. An immature Bonelli's Eagle was 
in the Bango area, near St.Louis on 26 january. "
- In African Bird Club (ABC) - Senegal, News


Très tôt après notre installation à Bango, en 2008-2009 nous avions décelé la présence hivernale de l'Aigle de Bonelli aux lisières de la plaine alluviale dite de Biffeche. Le 11 décembre 2010, un sujet immature était au loin "en vol S>N à 13h au-dessus de la route goudronnée de Diama, par-dessus le village de Mboubeune virant vers l'ouest et les rizières de Taba Tache" [ICI sur Ornithondar]. Une autre fois, je n'avais aucun équipement d'observation avec moi, alors que je marchais par la digue qui mène de Bango à Mboubeune, un aigle ébouriffé et de couleur terre orangée s'était posé sur le talus de la digue abandonnée qui se prolonge dans la plaine de crue, semblant avoir les serres sur une proie: je ne saurai jamais s'il s'agissait d'un Aigle ravisseur (aquila rapax) ou d'un jeune Aigle de Bonelli - trop loin pour différencier les espèces au seul regard (en tout cas pour moi)... Notre vraie rencontre aura lieu le 30 octobre 2011, au marais de Toddé - observation rapidement signalée à Patrick Boudarel, spécialiste français de l'Aigle de Bonelli (DREAL Languedoc-Roussillon): "Nous découvrons deux cadavres de Hérons cendrés (ardea cinerea, grey heron), dont un individu tout juste tué (à la tête, ensanglantée) et gisant dans les sables entre lac et marais. L'Aigle de Bonelli survole en altitude l'ardéidé, et soudain se met à descendre en vrille, ailes repliées, pour se poser au sol à quelques mètres de l'échassier, comme mu par la curiosité. Est-ce lui qui a tué le héron cendré ? Ou plutôt un Pygargue vocifère - haliaeetus vocifer, dont nous entendons les cris alentour, sans le repérer ce jour (...)" [ICI sur Ornithondar]. Toujours dans l'aire communautaire patrimoniale des Trois-Marigots, à l'occident du Khant-sud le 25 octobre 2015, l'aigle du zénith "est aussi jeune, avec un plumage de premier automne plus frais encore que celui de son prédécesseur. Il évolue assez haut à la verticale de la brousse entre le marigot de Khant et le marais de Toddé, effectuant de larges cercles glissés pour inspecter son domaine de chasse: le garde-manger doit lui convenir, il y a de l’Écureuil terrestre (xerus erythropus) et du Lièvre des buissons (lepus microtis), du Francolin à double éperon (francolinus bicalcaratus) et du Ganga à ventre brun (pterocles exustus) voire un Oedicnème du Sénégal (burhinus senegalensis) et une Outarde de Savile (lophotis savilei) pour les jours de fête... Les Pigeons, semi-domestiques ou roussards (columba guinea) des banlieues saint-louisiennes visibles au loin (Ngallele, Sanar, Université) pourraient bien aussi faire les frais de leurs divagations vers le marais de Toddé" [ICI sur Ornithondar]. Le 9 janvier 2016 enfin, c'est au-dessus de la ripisylve du Nyéti Yone, dans la Réserve spéciale d'avifaune du Ndiaël (RSAN) qu'un sujet "en mue de second plumage d'immature" "cercle à la verticale des marges désertiques du long marigot" pendant quelques minutes [ICI sur Ornithondar].

Après Zahara, baguage et suivi satellitaire sont au programme

En 2014 et 2015, deux aiglons - Zahara puis Turon, bagués et porteurs de GPS, avaient prouvé pour la première fois que des Aigles de Bonelli pouvaient traverser le Détroit de Gibraltar, d'Europe vers l'Afrique du nord. Mieux, si Turon avait choisi de vagabonder au nord du Sahara, Zahara*- qui portait bien son nom !- effectuait en septembre-octobre 2014 un extraordinaire parcours de 4 400 kilomètres à travers l'Andalousie (Espagne), le Maroc, l'Algérie, la Mauritanie, pour atteindre le Boundou du Sénégal oriental, donc bien au sud de notre vallée du fleuve Sénégal, avant de remonter dans le Sahel mauritanien et y disparaître à jamais, hélas... La systématisation du baguage des oisillons devrait d'ailleurs nous conter d'autres spectaculaires, et parfois dramatiques aventures trans-sahariennes, dans les prochaines années*6...

*5 Satellite-tracked Bonelli’s Eagles wintering in Africa for the first timein Maghreb Ornitho (Maroc), 2016 03 27, de Sorprendentes águilas perdiceras: dos ejemplares cruzaron el Estrechoin Quercus (Espagne), 2016 03 1
*6 Aigle de Bonelli: 2 jeunes bagués par la LPO Rhône-Alpes en mai 2016 en Ardèche, in Ligue pour la protection des oiseaux (LPO, France), 2016 08 22-24
Movements of juvenile Bonelli's Eagles Aquila fasciata during dispersal, par Javier Balbontin & Miguel Ferrer, in Bird Study, Vol. 56 p. 86-95, 2009

Épilogue: 
les Aigles et Vautours d'ailleurs pour combler la disparition des Aigles et Vautours d'ici !

L'inéluctable disparition des grands rapaces afrotropicaux et autres nécrophages des paysages ouest-africains ne semble déranger (ou activer) aucun acteur local de la protection de la biodiversité: dans la moitié nord du Sénégal, c'en est fini depuis fort longtemps du Messager sagittaire (sagittarius serpentarius), mais aussi sans doute du Vautour à tête blanche (trigonoceps occipitalis) et du Bateleur (teratrhropus ecaudatus), peut-être de l'Aigle martial (polematus bellicosus) et du Circaète de Beaudouin (circaetus beaudouini). Communs jusqu'aux années '70 de l'autre siècle, Aigle ravisseur (aquila rapax) et Circaète brun (circaetus cinereus) y sont devenus très localisés, tandis que quatre espèces de Vautours locaux (necrosyrtes monachus, gyps africanus, gyps rueppellii, torgos tracheliotus) y ont dramatiquement décliné... en moins de vingt ans ! Impossible pour tous ces oiseaux d'assurer leur descendance: les arbres porteurs de nids ont été abattus et réduits à du charbon depuis longtemps consommé; quant aux œufs, ils ont été innocemment, systématiquement et impitoyablement collectés par des générations entières d'enfants et de bergers, créant des ruptures générationnelles fatales pour la survie des grands rapaces. En revanche, l'efficacité des mesures conservatoires d'espèces emblématiques en Europe autorise dès lors à voir apparaître au sud du Sahara des espèces jamais mentionnées ici depuis que le birdwatching existe, ou tout simplement oubliées depuis des lustres ! Révélatrice, l'augmentation des observations de l'Aigle de Bonelli depuis la fin des années '90, ainsi que celles du Circaète Jean-Le-Blanc (circaetus gallicus), du Balbuzard pêcheur (pandion haliaetus), et du Vautour fauve (gyps fulvus). Mieux, voici même que surgissent dans le ciel sénégalais des espèces aussi improbables que l'Aigle pomarin (clanga pomarinaLire ICI sur Ornithondar) ou le Vautour moine (aegypius monachusVoir ICI sur Senegal Wildlife) ! Merci aux "partenaires" !

Voir aussi:
Aigledebonelli.fr/
L’aigle de Bonelli, seigneur de la Méditerranée, par Olivier Scher & Patrick Boudarel in Le Courrier de la Nature n° 285, septembre-octobre 2014
L'Aigle de Bonelli, pourquoi est-il en danger ?, par Aurélien Ausset, 2010 04 23 et 2016 08 23


Ci-dessous:
Aigle de Bonelli - aquila f. fasciata, femelle adulte
Vers Gainthe, parc national des oiseaux du Djoudj (PNOD)
2015 12 22, 11h59 & 12h01 / Courtesy © photos par S. Durand & S. Mériotte pour Balades naturalistes et Ornithondar, Droits réservés

Commentaires

  1. Cher Frédéric, le guetteur des chorégraphies du ciel, et de la palette de couleurs des oiseaux du Sénégal.
    Comme j'aime retrouver mes amours du Dakar Bango , le marigot prés de saint louis . Cela faisait longtemps que je n'étais pas venue en visite chez vous et ma joie demeure, comme cette grande symphonie ce n'est pas une supplique : vous visitez ma joie demeure.
    Merci de votre générosité.

    je ne suis pas une spécialiste mais un amoureuse de la nature et du beau.
    Belle recolte avec vos amours.
    Françoise (frankie pain)

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