En mai, certains de 'nos' vautours de Rüppell estivent désormais jusqu'en Europe !

 2014 01 24 12h40. Vautour/Gyps de Rüppell adulte à l'est du lac de Guier, nord du Sénégal / Photo par Frédéric Bacuez

* Du Sénégal et de la Mauritanie au Maroc et à l'Espagne via le Détroit de Gibraltar - 

Les 10 et 11 mai
dans la péninsule tingitane du Maroc, nos camarades ornithologues Mohamed Amezian et Rachid El Khamlichi accompagnés par Mohamed Karim El Haoua (2014 05 10, depuis la forêt du Bouhachem) puis par Edith et Théo Meyer (2014 05 11, depuis le Jebel Moussa) ont eu la joie d'observer dans d'excellentes conditions la migration active*1 de 139 vautours fauves (gyps fulvus, eurasian griffon vulture), une espèce paléarctique en retour prénuptial de saison vers les sites de nidification de l'Europe méditerranéenne, auxquels s'étaient joints 7 vautours de Rüppell (gyps rueppellii, Ruppell's griffon vulture), une espèce afrotropicale peut-être en provenance du Sénégal ! Ces observations documentées (voir ICI et LA), si elles ne sont pas les premières concernant cette espèce 'exotique' au nord du Sahara, sont celles qui recensent à l'heure actuelle le plus grand nombre de vautours de Rüppell*franchissant (ensemble ou presque) le détroit de Gibraltar en direction de l'Europe dans le sillage de leurs cousins fauves.

- Additif 1: le 24 mai près de Tétouan (nord du Maroc), Rachid El Khamlichi observe et photographie 3 nouveaux vautours de Rüppell (voir ICI) en compagnie de 32 vautours fauves en halte migratoire... dans un superbe champ de céréales prêt pour la moisson ! Cette fois, le record d'observations des gyps de Rüppell dans le détroit hispano-marocain est bel et bien battu ! Bravo à nos opiniâtres collègues du Maroc !
- Additif 2: le 29 mai, Rachid El Khamlichi est retourné au Djebel Moussa et a pu observer dans la pente herbeuse le stationnement de 97 vautours fauves et encore 2 vautours de Rüppell (voir ICI), attendant l'accalmie d'un fort vent du nord pour pouvoir franchir le détroit de Gibraltar. Le 30 mai, c'est une centaine de vautours fauves accompagnés d'1 vautour de Rüppell, d'1 immature de percnopète d'Egypte (neophron percnopterus) et de 3 milans noirs (milvus migrans migrans) qui pompent en altitude pour tenter de passer le détroit.

2014 05 24, vautour de Rüppell dans un champ de céréales près de Tétouan, Maroc
/ Courtesy photo par Rachid El Khamlichi, DR

*1 Outre celle des deux espèces de vautours gyps fulvus et gyps rueppellii, l'observation de la migration prénuptiale incluait des centaines de bondrées apivores (pernis apivorus), des dizaines de milans noirs (milvus migrans migrans) ainsi que quelques aigles bottés (hieraaetus pennatus) et circaètes Jean-Le-Blanc (circaetus gallicus) - sans oublier, le 9 mai, un vautour moine (aegypius monachuseurasian black vulture).

*2 Dans l'extrême nord du Maroc toujours, " Cambelo Jimenez (2007) rapporte les observations d'un [vautour de Rüppell] immature le 27 mai 2006, de deux immatures le 29 mai 2006 et jusqu'à 5 immatures le 15 juin 2006 dans des troupes de vautours fauves comptant jusqu'à 250 individus, immobilisés à Ceuta [Sebta] en attendant des conditions météorologiques favorables pour traverser le détroit de Gibraltar. Ces observations ont été homologuées par le Comité de Rarezas de la Sociedad Espanola de Ornitologia (Dies et al. 2008) ", in Comité d'Homologation des oiseaux rares du Maroc (CHM)

Depuis le début des années 90' de l'autre siècle et surtout depuis 1997, des vautours de Rüppell sont régulièrement notés au passage du détroit de Gibraltar (surtout en mai et juin, dans le sens Maroc-Espagne), à l'occasion du retour des vautours fauves de leur hivernage ouest-africain. Il s'agit en général de sujets juvéniles et immatures en mue, mais on a pu constater la présence dans la péninsule ibérique de sujets adultes avec des comportements reproducteurs. 

Vers l'extension ou la modification de l'aire de distribution du vautour de Rüppell ?

Les vautours du Paléarctique qui hivernent au sud du Sahara (gyps fulvus, neophron percnopterus) remontent au printemps vers le Maghreb et l'Europe méditerranéenne par vagues, en formations lâches mais généralement fournies en ce qui concerne gyps fulvus. Si le percnoptère d'Egypte reste un charognard très menacé, le vautour fauve connaît, lui, un net regain de ses populations grâce aux mesures conservatoires qui ont eu lieu en Europe depuis au moins une vingtaine d'années. Les vautours de Rüppell subsahariens n'ont pas la chance d'être protégés et défendus comme leurs cousins du nord;  bien que grégaires eux-aussi ils se retrouvent désormais bien esseulés dans leur aire de distribution ouest-africaine, très fragmentée, avec presque partout des effectifs réduits de 96 à 99% de ce qu'ils étaient encore au début des années 70'... Seules les régions centrales du Sénégal et les contreforts guinéens du Fouta Djalon abritent encore quelques noyaux de populations viables. Comme toutes les espèces ouest-africaines de charognards, le vautour de Rüppell est désormais inscrit à la Liste rouge des espèces menacées de l'UICN, dans la catégorie 'Endangered/En danger'. On peut ici envisager que l'attraction numérique des vautours fauves au moment de leur départ printanier ait un effet d'entraînement sur nos malheureux vautours de Rüppell, qui se joignent alors à ces envols migratoires vers des destinations pour eux bien nouvelles...
Ces mouvements pourraient aussi répondre à des problématiques tout simplement alimentaires: après l'éradication des grands herbivores sauvages du paysage soudano-sahélien (dans la seconde moitié du XXe siècle), c'est au tour de la précieuse source alimentaire de substitution qu'est le pléthorique cheptel domestique sahélien d'être moins 'disponible': l'amélioration des soins vétérinaires, des circuits de commercialisation du bétail plus fluides et le retour d'une pluviométrie satisfaisante depuis la fin des années 90' ont drastiquement réduit la mortalité des animaux. Seule... la route permet encore de nourrir les vautours ! On le voit bien sur l'axe Thiès/Saint-Louis-du-Sénégal où les cadavres, souvent des ânes et des chevaux percutés par des véhicules trompe-la-mort sont vite évidés par des meutes de charognards réunissant parfois près de 200 vautours accourus des quatre points cardinaux du pays ! Loin au nord, la politique européenne des placettes de nourrissage carné, en partenariat avec les abattoirs, a permis de sauver les populations de vautours méditerranéens. Nos vautours de Rüppell pourraient très vite se passer le mot et de plus en plus fréquemment rejoindre d'un coup d'ailes* ces espaces devenus moins hostiles que leur vaste région d'origine... abandonnée à la désertification de sa biodiversité parmi la plus rapide au monde.

* Les vautours de Rüppell ont la réputation de s'élever aisément à 3 500 mètres d'altitude; et on sait que certains individus ont atteint l'altitude de 11 000 mètres ! En descente planée, leur vitesse est alors de 45 kilomètres par heure...

" (...) These movements could also imply an expansion of the distribution range of the Rüppell's Vulture, as a probable early step for the establishment of this African vulture in the European continent as a breeding species. 
There is already some evidence of adult Rüppell's Vultures occupying breeding colonies of Griffon Vultures in the Iberian Peninsula, during 1999 and 2008, and exhibiting breeding behaviour. "
- Ramirez et al., 2011
Lire: J. Munoz, A. R., Onrubia, A., de la Cruz, A., Cuenca, D., Gonzalez, J. M., & Arroyo, G. M. (2011). Spring movements of Rüppell's Vulture Gyps rueppellii across the strait of Gibraltar. Ostrich, 82: 71-73
Voir les photographies de Michel Aymerich: Geres/2011 08 1, trois vautours de Rüppell près d'Aousserd, Sahara occidental
Également: Ornithomedia/Août 2013, un vautour de Rüppell dans le sud de la France

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